Avec le changement climatique, la finance comme les autres secteurs économiques n’a pas d’autre choix que de devenir durable. Mais avec quels outils?
Le développement durable touche désormais tous les secteurs. Par exemple, la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) entrée en application en janvier 2024 s’applique à toutes les entreprises, dès qu’elles dépassent une certaine taille (d’abord plus de 500 salariés et plus de 40 millions de chiffre d’affaires ou 20 millions d’euros de bilan, avant d’être étendu).
A quoi sert la finance durable?
On trouve différentes définitions de la finance durable. Dans le cadre de cet article nous retiendrons celle qui va droit au but : la finance durable désigne, pour l’essentiel, l’ensemble des instruments et mécanismes de financement du développement durable.
La finance a dans le grand public l’image d’une entité sans âme, motivée exclusivement par des critères de rentabilité. Soyons un peu iconoclaste : c’est bien cette vision purement rationaliste qui fait sa force dans le contexte qui nous intéresse… à partir du moment où les critères « extra financiers » : coût humains, coûts environnementaux sont correctement réintégrés dans les études de rentabilité à long terme.
Or c’est précisément ce qui est en train de se passer, sous l’impulsion des investisseurs institutionnels comme les compagnies d’assurance. Voici ce que déclarait un ancien PDG d’Axa :
Nous n’avons pas le choix : un monde à +2°C pourrait encore être assurable, un monde à +4°C ne le serait certainement plus.
Henri de Castries
La finance durable, finance de bisounours destinée à satisfaire la demande de quelques bobos désireux d’apaiser leur conscience, en plaçant leur argent de manière « éthique » et « responsable », c’est fini. Le rôle de la finance est d’optimiser l’allocation de l’épargne disponible vers les besoins de financement. Désormais, les aspects environnementaux feront partie des critères d’optimalité.
Cela signifie aussi que la finance ne devrait plus être considérée comme un ennemi du développement durable, mais comme un moyen puissant pour faciliter la transition énergétique… à condition toutefois de cibler les bons outils, car il est vrai que les outils de la finance durable continuent de coexister avec ceux de la finance « classique ».
Evaluer les émetteurs : labels ISR et indices durables
Donner des médailles : les labels ISR
Voici déjà deux sigles à retenir : critères ESG (Environnementaux, Sociétaux et de Gouvernance) et ISR (Investissement Socialement Responsable). L’ISR consiste pour un asset manager à inclure dans le processus de sélection des émetteurs les critères ESG.
Notons le caractère extra financier, et donc parfois plus difficilement mesurable, des critères de sélection : impact sur l’environnement, politique sociale, gouvernance. D’autre part, le mélange de critères éthiques, sociaux et environnementaux nuit à la lisibilité pour l’investisseur. Le rapport de l’AMF de novembre 2015 sur l’Investissement Socialement Responsable dans la gestion collective ne manque pas de souligner le caractère « polymorphe et difficile à appréhender » de la démarche.
D’autant que la coexistence, dans l’offre des sociétés de gestion, de fonds ISR et de fonds « classiques » interroge : quelle est la part de la démarche authentiquement socialement responsable par rapport à la tactique purement marketing, bref du « greenwashing » ? Toutefois, n’oublions pas que « l’hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu » (La Rochefoucauld) !
Afin d’y voir plus clair, il est possible de s’appuyer sur une source externe telle que Novethic. Novethic décerne un label « fonds ISR » aux OPCVM prenant en compte les critères ESG dans leur sélection d’émetteurs en portefeuille. Ce label permet d’attester que la démarche ISR n’est pas qu’accessoire dans la gestion du portefeuille.
L’ISR utilise différentes méthodes de sélection des émetteurs, la plus connue étant l’approche « best-in-class ». Celle-ci consiste à reconnaître que s’il n’est pas possible d’exclure totalement certains émetteurs controversés, au moins dans chaque secteur ce sont les « mieux-disant » (ou les moins mauvais) en termes environnementaux, sociaux et de gouvernance qui ont été retenus.
Entretenir une saine émulation : les indices durables
Cette approche du « mieux-disant » est celle des « indices durables » tels que le Dow Jones Sustainability Index (DJSI). Pour constituer ces indices, car il y en a plusieurs, leur promoteur RobecoSAM conduit une revue annuelle des 3 400 plus grosses entreprises mondiales sur la base de critères ESG extrêmement détaillés. La méthodologie et les résultats sont présentés en détail sur le site.
En ce qui concerne les critères environnementaux, le questionnaire insiste sur la transparence de l’entreprise dans ce domaine, et sur la présence d’indicateurs chiffrés lui permettant d’évaluer son impact environnemental.
Comme l’indice est constitué à partir des « mieux-disant » dans chaque catégorie, l’approche entretient une saine émulation entre les plus gros émetteurs mondiaux (au sens « émetteur d’instruments financiers »), qui sont incités à batailler pour entrer dans l’indice, puis ensuite pour s’y maintenir. A noter que, par exemple, Volkswagen a été supprimée de l’indice en octobre 2015, suite à l’affaire du « dieselgate », sans attendre la revue annuelle de ses résultats !
Il existe aussi un indice spécial carbone, le « Low Carbon 100 Europe« , développé par Euronext.
Financer la croissance verte : les « green bonds »
Les « green bonds » ou obligations vertes permettent aux investisseurs de financer des projets ou des activités d’entreprises, de collectivités locales ou d’organisations internationales générant un bénéfice environnemental direct : énergies renouvelables, efficacité énergétique, adaptation au changement climatique… Les émetteurs adhèrent bien évidemment à une charte, les « Green Bond Principles », par laquelle ils s’engagent à informer les investisseurs sur l’utilisation « verte » des fonds collectés, non seulement dans le prospectus d’émission, mais aussi pendant toute la durée de vie de l’obligation.
Ce nouveau segment a connu une forte croissance, passant de seulement 0,4 milliards d’euros en 2012 à 467 milliards en 2021.
Intégrer le coût de la pollution : les quotas d’émission
En l’absence de régulation externe, l’entreprise et les consommateurs n’intègrent dans leurs coûts que ceux qu’ils supportent directement. L’émission de GES (Gaz à Effet de Serre), coût supporté socialement, n’est donc pas prise en compte spontanément. L’analyse économique envisage deux outils de régulation : la taxation du carbone ou les systèmes de quotas.
A lire aussi : la finance carbone.
Le système de quotas se révèle à l’usage politiquement plus facile à mettre en place. L’Union Européenne a été pionnière dans la mise en place de quotas d’émission de GES. Sur le plan réglementaire, les gouvernements fixent un plafond maximal d’émission de CO2 à respecter et attribuent aux entreprises assujetties des quotas d’émission. Les entreprises reçoivent en début d’année un certain nombre de quotas correspondant à leur objectif. En fin d’année, elles doivent restituer le nombre de quotas équivalent à leurs émissions réelles.
Les entreprises ayant émis moins de GES que prévu disposent donc d’un excédent de quotas qu’elles peuvent revendre à celles qui ont dépassé leur objectif sur des marchés dédiés tels que EEX. En agissant sur le nombre de quotas en circulation, les gouvernements exercent une pression sur le prix, de telle sorte qu’il devienne plus rentable pour les entreprises d’investir pour réduire leurs émissions que de racheter des quotas.
Les quotas d’émission et les marchés associés sont des instruments spécifiques aux entreprises. Il existe d’autres outils plus adaptés au grand public, comme des plateformes de compensation des émissions de CO2, encore assez confidentielles, mais qui pourraient se développer à l’avenir.
La finance, le problème ou la solution ?
Selon une enquête publiée par l’Autorité des Marchés Financiers en septembre 2021, « pour 76% des Français l’impact des placements sur l’environnement est un sujet important ».
Mais « 11 % seulement des répondants connaissent avec précision l’un des types de placements solidaires, durables, responsables, ISR, etc. » !
Pour continuer à creuser le sujet, lisez notre article sur l’investissement à impact (ou impact investing).
Pourtant, de l’avis des investisseurs institutionnels, l’approche ISR permet aux investisseurs de réduire leurs risques grâce à la prise en compte de critères extra financiers. Loin des discours incantatoires des ONG, dont on se demande parfois si elles ne souhaiteraient pas supprimer la finance plutôt que d’essayer d’en comprendre les mécanismes, la finance se bouge, poussée par le principe de réalité. En tant qu’investisseurs nous avons aussi un rôle à jouer. A côté du tri des déchets et du covoiturage, demandons nous aussi où il y a lieu de placer notre argent !
- Rapport de l’AMF : https://www.amf-france.org/sites/institutionnel/files/contenu_simple/rapport_etude_analyse/epargne_prestataire/Rapport%20de%20l’AMF%20sur%20l’investissement%20socialement%20responsable%20(ISR)%20dans%20la%20gestion%20collective.pdf
- Obligations vertes : https://www.banque-france.fr/fr/publications-et-statistiques/publications/obligations-vertes-une-croissance-durable
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