Pour 2022, le déficit public de la France a atteint 124,9 milliards d’euros, soit 4,7% du PIB. Ce chiffre est régulièrement mis en avant dans les médias, notamment dans la presse économique mais également dans la presse généraliste. Alors pourquoi ce chiffre, en apparence résultat d’une opération purement comptable, est-il si régulièrement mis en avant et débattu ?

Trop élevé, et donc à réduire, pour certains ; un moindre mal pour d’autres, en particulier en période de crise économique, comme ce fut le cas lors de la crise du Covid-19, où il a pu atteindre 205,5  milliards d’euros en 2020, soit 8,9% du PIB (Produit Intérieur Brut).

Mais lorsque l’on parle de déficit public, de quoi parle-t-on ?

Qu’est-ce que le déficit public ?

Pour comprendre de quoi l’on parle lorsqu’on évoque le déficit public, il faut tout d’abord s’intéresser aux finances publiques. Par exemple les finances de l’Etat français. Celui-ci dispose en effet d’un budget : il s’agit des comptes qui décrivent pour une année civile les ressources (ce qui rentre dans les caisses) et les charges de l’État. Il est déterminé chaque année par une « loi de finances » votée par le Parlement. Il est composé de dépenses et de recettes.

Les dépenses publiques constituent les sommes qui découlent de l’action et de l’intervention de l’État dans l’activité économique. Cette intervention de l’État prend des formes extrêmement diverses : entretien de son administration bien sûr, dont les salaires des fonctionnaires, mais également financement de biens collectifs (éducation, santé), ainsi que d’infrastructures publiques (routes, ponts…) nécessaires au bon fonctionnement de l’économie dans son ensemble. Mais l’intervention de l’État ne se limite pas à la production de services publics. Elle vise également à réguler l’activité économique, comme nous le verrons plus tard.

Les ressources de l’État proviennent principalement des prélèvements obligatoires, c’est-à-dire des impôts et des cotisations sociales prélevés par les administrations publiques. Les impôts regroupent pour l’essentiel l’impôt sur le revenu, l’impôt sur les sociétés, et la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Mais il en existe de nombreux autres. Les cotisations sociales sont constituées des cotisations employeurs (ou cotisation « patronales »), ainsi que les cotisations des salariés et des non-salariés. Elles visent à prémunir contre les risques sociaux (maladie, chômage, vieillesse, etc.).

Si les dépenses de l’Etat sont supérieures à ses recettes, alors nous sommes dans une situation de déficit public.

Le solde budgétaire représente la différence entre les recettes (ressources) et les dépenses dans le budget de l’Etat. Si le solde est positif (recettes supérieures aux dépenses) alors on parle d’excédent budgétaire. Dans le cas contraire (dépenses supérieures aux recettes) alors le budget de l’Etat est en déficit : on parle de déficit public.

Comment expliquer le déficit public ?

On distingue le déficit conjoncturel du déficit structurel.

Le déficit conjoncturel s’explique par la conjoncture économique, soit « l’état de santé » de l’économie à une période donnée. En situation de conjoncture favorable (croissance soutenue, chômage faible), le déficit a tendance à baisser (voire se transformer en excédent). Les recettes fiscales augmentent (puisque les revenus et la consommation augmentent) et les dépenses diminuent, en particulier celles liées à l’indemnisation des chômeurs. Les politiques de relance, qui peuvent être coûteuses, sont également beaucoup moins mises en œuvre en situation de conjoncture favorable.

Le déficit structurel correspond à la part du déficit total qui persiste même si l’économie tournait à plein régime. Les dépenses sont supérieures aux recettes, y compris en situation de croissance forte et de chômage à son plus bas niveau.

Le déficit conjoncturel peut par exemple s’expliquer par une situation de crise, comme lors du covid 19, qui a engendré de nombreuses aides de l’Etat, ainsi que la mise à l’arrêt d’une partie de l’économie. Ce déficit peut arriver et se comprend.

Le déficit structurel est plus problématique. Un Etat qui perd forcément de l’argent chaque année, car son fonctionnement est construit de cette manière, ne peut pas être viable sur le long terme.

Dette et déficit public

On confond souvent déficit public et dette publique. Il s’agit pourtant de deux choses différentes.

La dette publique correspond aux sommes qui représentent les déficits budgétaires accumulés sur plusieurs années, soit plus précisément les emprunts contractés par les pouvoirs publics pour financer les déficits. Ces emprunts ne figurent pas dans le budget de l’Etat. Seuls les intérêts de cette dette y sont inscrits et sont considérés comme une charge. Il s’agit ainsi d’une dépense que l’Etat doit consentir chaque année auprès de ses créanciers.

Evolution de la dette et du déficit public de la France depuis 1978
Evolution de la dette et du déficit public de la France depuis 1978 (source INSEE)

😮 Au premier trimestre 2023, la dette publique de la France représentait 3 013,4 milliards d’euros. C’est la première fois qu’elle dépasse le seuil de 3 000 milliards d’euros.

Comment est financé le déficit budgétaire ? 

Lorsque les dépenses publiques sont supérieures aux ressources dont dispose l’État, ce dernier dispose d’un certain nombre de leviers de financement du déficit. Ils ne sont toutefois pas sans présenter certaines limites.

Monétisation du déficit, financement monétaire du déficit public

Pour résorber le déficit public, l’Etat peut avoir recours à la création monétaire. Il fait ainsi tourner la « planche à billets » afin de créer la monnaie nécessaire au financement du déficit public. Cela suppose toutefois que l’État ait le contrôle sur la politique monétaire, ce qui n’est souvent plus le cas. En effet, désormais la majorité des banques centrales, qui émettent la monnaie, sont indépendantes du pouvoir politique. C’est notamment le cas de la Banque Centrale Européenne.

Un pays ne peut pas rembourser sa dette en émettant de la monnaie indéfiniment. S’il fait cela, l’inflation augmente, la monnaie perd de sa valeur, et finalement d’autres problèmes surgissent.

Augmentation du taux de pression fiscale

Afin d’augmenter les ressources dont il bénéficie, l’État peut augmenter le niveau de la pression fiscale. En augmentant les impôts et les taxes ainsi que les cotisations, les pouvoirs publics vont augmenter leurs recettes fiscales. Comme ces dernières constituent l’essentiel des ressources de l’État, leur augmentation permet d’équilibrer les comptes publics. Toutefois, le taux de pression fiscale ne peut être augmenté indéfiniment, notamment car il finit par alimenter l’évasion fiscale.

Emprunt sur les marchés financiers, en émettant des titres de dette

Face aux limites des deux premiers leviers, le financement du déficit passe en réalité majoritairement par la souscription d’emprunts auprès d’acteurs privés sur les marchés financiers (fonds de pensions, banques, assurances…). Il s’agit notamment des Obligations Assimilable au Trésor (OAT). L’État émet ainsi des titres de dette, avec un montant d'emprunt, la durée du prêt (de quelques jours à plusieurs années), ainsi que le taux d’intérêt, c’est-à-dire la somme versée au créancier en contrepartie du prêt. On parle d’emprunts obligataires.

Les sommes empruntées qu’il reste à rembourser constituent la dette publique. En revanche, les taux d’intérêt payés aux créanciers sont comptabilisés comme une dépense publique, et donc inscrits au budget de l’État. Si les taux d’intérêt sont trop élevés, alors cela a pour effet d’accentuer le déficit public. L’État, en empruntant sur les marchés financiers, dispose ainsi d’une marge de manœuvre limitée.

Faut-il craindre le déficit budgétaire ?

Un des enjeux pour les décideurs publics est donc d’éviter que le déficit public ne soit trop élevé. Le déficit budgétaire n’est pas forcément une mauvaise chose en soi, mais s’il est excessif, il peut devenir un problème.

Un déficit budgétaire temporaire permet de relancer l’économie (approche keynésienne)

En période de conjoncture économique défavorable (faible croissance, fort taux de chômage), l’État peut utiliser le budget pour relancer l’activité, en creusant temporairement le déficit budgétaire. On parle de politique de relance.

Il peut ainsi augmenter temporairement les allocations chômage ou les revenus (par le versement de diverses primes ou allocation) afin d’augmenter le revenu disponible des ménages. Ceci va stimuler la consommation, puis la production, et donc la croissance économique, et par la suite réduire le chômage.

Mais surtout, les pouvoirs publics peuvent augmenter l’investissement public (ex. construction d’infrastructures). Celui-ci va augmenter la demande adressée aux entreprises privées, qui vont en retour investir et embaucher davantage, ce qui a également un effet positif sur l’emploi et la croissance.

Mais attention à un effet boule de neige du déficit public

Pour financer les politiques de relance, l’État est en général obligé de creuser son déficit, qu’il faut financer, ce qui passe en général par l’emprunt auprès des marchés financiers, en contrepartie d’un certain taux d’intérêt. Les intérêts des emprunts qui ont été consentis étant inscrits au budget de l’État, un déficit budgétaire trop élevé appelle potentiellement des intérêts importants à consentir.

Ces intérêts étant inscrits au budget de l’État, ils peuvent contribuer à creuser davantage le déficit, qu’il faut de nouveau financer par des emprunts, etc. Dès lors, le déficit risque de devenir insoutenable du fait du poids trop important des intérêts de la dette. Il s’agit finalement d’un cercle vicieux.

Un déficit budgétaire à redouter si les politiques budgétaire et monétaire sont mal coordonnées

Une politique budgétaire de relance n’est efficace qu’à condition qu’elle soit correctement coordonnée avec la politique monétaire. Celle-ci détermine le niveau des taux d’intérêt auxquels les ménages et les entreprises pourront contracter des crédits. Si la politique monétaire est trop restrictive, alors les taux d’intérêt resteront élevés, ce qui risque de décourager la consommation des ménages et l’investissement des entreprises, et ainsi diminuer la portée de la politique de relance.

Si la banque centrale mène une politique trop restrictive sur la quantité de monnaie qu’elle souhaite mettre en circulation, cela se répercute également sur le niveau des taux d’intérêt auxquels l’État emprunte sur les marchés financiers, ce qui peut miner la soutenabilité du déficit public. 

Le déficit budgétaire encadré par des règles de politique économique ?

Afin de contenir le déficit budgétaire, certains économistes préconisent de fixer des règles de politique économique, afin d’éviter que le déséquilibre des finances publiques ne devienne trop important. Ces économistes partent du postulat que les décideurs publics prennent principalement leurs décisions de politiques économiques sous influence du calendrier électoral. Par exemple, les pouvoirs publics mettraient en place une politique de relance de l’économie à l’approche des échéances électorales, afin d’augmenter leurs chances de rester au pouvoir.

En conséquence, certains économistes prônent l’indépendance des banques centrales vis-à-vis des pouvoirs politiques. L’idée est que la politique monétaire soit soumise à des règles (notamment en matière de contrôle du niveau de l’inflation). La politique budgétaire devrait de fait se caler sur celles-ci, ce qui limiterait sa marge de manœuvre et empêcherait la survenue d’un déficit public. En effet, puisque les conditions de refinancement de ce dernier seraient moins avantageuses.

De façon plus directe, pour un pays comme la France, les traités européens encadrent le déficit budgétaire. En 1997, les pays qui ont souhaité rejoindre la zone euro (monnaie entrée en vigueur en 1999) se sont engagés à ne pas avoir un déficit public supérieur à 3% du PIB. L’objectif était d’encourager les pays membres à avoir une gestion rigoureuse de leurs finances publiques, pour que l’ensemble de la zone bénéficie de taux d’intérêts faibles. En d’autres termes, il s’agit d’éviter les comportements de “passagers clandestins”. Toutefois, ce critère est souvent remis en question. Il apparaît comme trop rigide, en empêchant la mise en place de politiques économiques de relance qui pourraient être bénéfiques pour l’ensemble de la zone euro, dans un contexte de croissance économique faible.

  • https://www.insee.fr/fr/statistiques/7232553