La théorie quantitative de la monnaie est un concept économique ayant pour objet le lien entre la quantité de monnaie disponible et le niveau des prix.

Cette théorie a été posée sous forme d’équation par l’économiste Irving Fisher en 1911. Fisher est issu de l’école autrichienne, qualifiée de libérale, voire libertarienne. Il défend donc l’idée selon laquelle l’intervention de l’Etat dans l’économie est généralement nuisible. Il serait préférable de laisser les agents économiques globalement libres de leurs actions, afin de permettre une résorption spontanée des déséquilibres économiques.

Certaines hypothèses défendues par les économistes de l’école autrichienne sont communes avec l’école classique et néoclassique. En particulier, l’un des aspects essentiels de la théorie quantitative de la monnaie est d’opérer une séparation entre deux sphères distinctes : la sphère monétaire et la sphère réelle.

Toute stimulation monétaire débouche sur de l’inflation

La monnaie n’est qu’un voile

Un point central de la théorie repose sur la dichotomie entre la sphère réelle et monétaire : 

  • La sphère réelle regroupe l’ensemble des agrégats économiques qui structurent les rapports des prix (production, consommation, investissement, exportations et importations, salaire réel et taux d’intérêt réel, etc.). 
  • La sphère monétaire correspond à l’ensemble des variables dites nominales (masse monétaire, niveau général des prix, salaires nominaux et taux d’intérêt nominal, etc.)

L’économiste français du XIXe siècle Jean-Baptiste Say a utilisé le terme « voile » pour définir la monnaie. En vertu de sa célèbre Loi des débouchés, Say énonce que « les produits s’échangent contre des produits ». Ce qu’il entend par là, c’est que la monnaie n’est qu’un moyen d’échange mais ne représente pas une richesse en soi. Dans le cadre d’un marché, lorsqu’un individu vend sa production, il récupère une somme monétaire dont il pourra disposer pour ses achats futurs. À la fin de la série d’échanges, les produits des uns auront été échangés contre les produits des autres. La monnaie n’aura servi que d’intermédiaire facilitant les transactions par rapport à une économie de troc.

L'économiste Jean-Baptiste Say
L’économiste Jean-Baptiste Say

Cette analyse peut être prolongée, en expliquant qu’encore plus fondamentalement, ce qui est échangé sur un marché, c’est du temps. Nous nous spécialisons tous dans un certain type de production, et cette spécialisation nous rend chacun en moyenne plus productif (en supposant que nous fassions ce pourquoi nous sommes « faits »). Le temps que nous passons à produire certains biens ou services est du temps que nous ne passons pas en loisir ou à produire d’autres biens et services qui pourraient nous rendre autosuffisants. Par le mécanisme de marché, nous échangeons donc le temps que nous avons passé à produire contre le temps que d’autres agents ont passé à produire d’autres biens et services.

Nous pouvons en déduire que ce qui structure l’économie, ce n’est pas le niveau des prix, mais le rapport entre les prix. En clair, notre système d’économie de marché repose sur le fait que peu importe qu’un téléphone vaille 500€ et un stylo 2€, ce qui est structurant c’est que le téléphone vaille 250 stylos.

Equation de la théorie quantitative de la monnaie

L’équation de la théorie quantitative de la monnaie repose sur l’équilibre emploi ressources, qui présente à gauche la totalité de la masse monétaire disponible, et à droite son utilisation :

M * V = P * Y

Dans cette formule :

  • M représente le volume de la masse monétaire en circulation. Nous pourrions simplifier en disant que cela correspond aux pièces et billets, mais vous comprenez que cela va plus loin étant donné les paiements par cartes bancaires et virements par exemple ;
  • V correspond à la vitesse de circulation de la monnaie. C’est-à-dire le nombre de fois où la monnaie est utilisée sur la période considérée (puisqu’un billet de 20€ peut servir plusieurs fois sur un an) ;
  • P représente le niveau général des prix, c’est à dire le prix moyen d’un bien ou d’un service
  • Y représente la production sur la période

Autrement dit, le nombre de transactions monétaires sur une période donnée correspond au volume de de biens et services produits, multiplié par le prix moyen de ceux-ci. Assez logique.

Hypothèses autour de la théorie quantitative de la monnaie et conséquences

Dans le cadre où plusieurs hypothèses sont prises, l’équation de la théorie quantitative de la monnaie établit un lien direct entre l’évolution de la quantité de monnaie en circulation et le niveau de prix, donc le taux d’inflation.

Ces hypothèses sont les suivantes :

  • La masse monétaire est considérée exogène, ce qui signifie que son volume est entièrement déterminé par la politique des autorités monétaires (ex. pour les pays de la zone euro par la Banque Centrale Européenne) ;
  • Les prix sont flexibles, ce qui suppose un ajustement sans rigidité à la hausse ou à la baisse ;
  • L’économie est au plein-emploi. Il n’est donc pas possible de produire davantage à court terme quelle que soit la stimulation opérée ;
  • la vitesse de circulation de la monnaie peut être considérée fixe à court et moyen terme

En conséquences, si les autorités injectent de la monnaie dans le système économique, la seule conclusion possible est une augmentation du niveau général des prix.

Principales limites de la théorie quantitative de la monnaie

Une théorie peu explicative

La principale faiblesse de cette théorie est qu’elle s’appuie sur un postulat qui relève de l’évidence, sans parvenir véritablement à expliquer l’origine de l’inflation. En particulier, elle identifie la création monétaire comme seule cause de l’inflation, sans tenir compte de la demande de monnaie.

Or il faut distinguer monnaie interne et monnaie externe. La monnaie externe est celle qui est effectivement créée directement par la Banque Centrale, tandis qu’une part non négligeable de la création monétaire provient des banques commerciales, ce qu’on appelle la monnaie interne. Ainsi, en fonction de la dynamique de prêts des banques commerciales, et de la demande de monnaie des agents économiques (les particuliers et les entreprises), la quantité de masse monétaire totale peut être très variable. Les autorités peuvent influer, mais elles ne peuvent pas tout maîtriser.

Par ailleurs l’hypothèse selon laquelle la vitesse de circulation est fixe à court et moyen terme est critiquable. En fonction du contexte économique, et du niveau de confiance, cette donnée peut être assez variable. On peut par exemple penser à la crise sanitaire du covid 19 qui a limité le nombre de transactions et a orienté naturellement l’argent des ménages vers plus d’épargne.

Limites pratiques de la théorie quantitative de la monnaie

Comme l’énonce la théorie de l’hélicoptère, prolongement de la théorie quantitative de la monnaie par Milton Friedman dans les années 1970, une stimulation monétaire peut éventuellement entraîner une augmentation de la production à court terme, si l’économie se trouve dans une situation éloignée du plein-emploi. Dans ce contexte, l’augmentation de la demande consécutive à l’injection monétaire débouche sur une augmentation de la production, les entreprises ayant la capacité d’augmenter la quantité de facteurs de production utilisés (capital et travail).

Par ailleurs, la crise de 2008 a montré que malgré des injections monétaires massives, le taux d’inflation peut rester faible, voire être négatif. Cela s’explique notamment par le fait que toute injection monétaire ne se diffuse pas immédiatement dans la sphère réelle. En vertu de l’effet Cantillon, le surplus de monnaie est d’abord capté par la sphère financière, qui se trouve directement au contact de la Banque Centrale, et ne se diffuse que très progressivement dans la sphère réelle.

  • « The Purchasing Power of Money: Its Determination and Relation to Credit, Interest, and Crises », Fisher, 1911