Lorsqu’un établissement financier ou un particulier accepte de prêter à un tiers, la première question qu’il se poser normalement est : A quel point suis-je sûr d’être remboursé ? Pour l’évaluation de ce risque, des entreprises ont été créées : les agences de notation financière.

🌡️ Ces agences, sociétés privées détachées des institutions, vont alors émettre des opinions sur la solvabilité des entreprises, des Etats, mais aussi sur les produits proposés par ceux-ci (titres, emprunts, produits dérivés, …) au travers d’une note. 

Pour les emprunteurs, ces notes sont très importantes ! Elles vont conditionner leur réputation aux yeux des créanciers. C’est pour cela que nombreux sont ceux qui cherchent à obtenir un triple A, « AAA », le Saint Graal parmi les notes, leur permettant alors de se financer dans les meilleures conditions.

Risque et rentabilité sont liés, donc plus la note est bonne, plus l’entité pourra se financer à des taux d’intérêts bas.

Qu’est-ce qu’une agence de notation ? 

Une agence de notation est une société privée spécialisée dans l’évaluation du risque de défaut de paiement des acteurs du marchés. La note attribuée par ces agences représentant une garantie importante, ce sont les entités notées qui les rémunèrent.

Vous pourrez aussi trouver le terme anglais de Credit Rating Agency, CRA, pour désigner les agences de notation.

Les notations ne se fondent que sur des critères financiers et non pas sur ceux ESG (Environnement, Sociaux et de Gouvernance). Les notes ne couvrent qu’un aspect bien spécifique, la solvabilité. C’est pourquoi la note d’un Etat ou d’une entreprise ne représente pas un conseil d’investissement, qui devraient prendre en compte d’autres aspects (ex. rentabilité). La note des agences indique seulement la capacité d’une entité à rembourser ses dettes. Elle renseigne donc sur le risque de crédit.

La notation est un exercice particulièrement complexe. Et pour être utile, cela nécessite que l’agence dispose d’une certaine renommée et reconnaissance sur le marché. C’est pour cela que seulement quelques entreprises font réellement référence dans le domaine : Moody’s, Standard & Poor’s et Fitch Ratings, toutes trois basées à New York. 

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Standard & Poor’s, une des 3 agences de notation qui dominent le marché

Il en existe d’autres, comme l’agence de notation chinoise Dagong. Néanmoins, les trois agences citées précédemment concentrent à elle seules la quasi totalité de l’activité.

Entre le fait que les agences de notation soient payées par les émetteurs d'emprunt, et que leur marché soit un oligopole dominé par 3 sociétés, il n’est pas étonnant que l’impartialité de celles-ci ait souvent été remise en cause.

Comment note-t-on un acteur ?

Des analyses fondées sur des données financières

Pour établir leurs notes, les trois grandes agences de notation financière s’appuient sur des méthodologies assez proches. Elles reposent en particulier sur des données comptables (comptes de résultat, bilans, etc.) permettant après analyse d’apprécier les niveaux de rentabilité et de risque.

Envie d’en savoir plus sur les méthodes permettant d’évaluer les performances d’une entreprise ? Nous vous expliquons tout dans notre article sur les fondamentaux de l’analyse financière.

Vous retrouverez par exemple dans le cadre d’une entreprise, l’analyse de différentes données comptables telles que le chiffre d’affaires, les ratio d’endettement, le taux de croissance ou l’EBITDA, qui est un bon indicateur de la capacité d’une société à être profitable.

Pour un Etat, on pourra trouver une analyse de la structure de la dette du pays, son PIB (Produit Intérieur Brut), et sa croissance, indicateur phare de la dynamique de développement d’un pays, ou encore les niveaux d’impositions déjà pratiqués. Ces différentes données permettent alors d’évaluer les difficultés que l’Etat pourrait rencontrer pour rembourser ses créditeurs. 

Enfin pour la notation des titres financiers, tels que les obligations d’entreprises, d’autres facteurs, propres au produit, sont pris en compte. On pourra citer la prise en compte de la présence ou non d’une garantie que le créditeur pourra réclamer si le débiteur fait défaut (par exemple une action, une hypothèque, …).

Le processus de notation

La notation est généralement établie à la demande de l’émetteur. Mais elle peut aussi être déclenchée par l’agence de rating elle-même.

Un comité de notation formé d’analystes, directeurs et analystes junior est formé. Ce comité recueille les données disponibles, publiques ou non, sur l’émetteur et sur son marché (voir ci-dessus). Une fois le rating établi, l’agence continue de suivre l’émetteur, et peut être amenée à le réviser périodiquement.

💡 La notation des produits structurés tels que les ABS ou MBS suit un processus différent. En effet, le produit est construit (« structuré », comme son nom l’indique) par le sponsor, qui est toujours à l’origine de la demande de notation, en vue d’obtenir un certain rating (pour plus de précisions, voir la page sur la titrisation). Le processus de rating devient alors itératif. L’agence conseillant le structureur, celui-ci soumet une proposition, et si l’objectif de rating n’est pas atteint il revoit sa copie… ou va voir une autre agence.

➡️ On voit alors nettement à quel conflit d’intérêts les agences sont confrontées. Il n’est finalement pas surprenant que certaines aient cédé à une certaine complaisance vis-à-vis de leurs clients qui sont, rappelons-le, ceux-là même qu’elles sont censées noter, et qui ne les paieront que si le rating est finalement publié.

Plus objectivement, la notation des produits structurés repose d’une part sur une évaluation du pool de collatéral sur lequel le produit est adossé (des « stress test », simulant des scénarios de perte en cas de défaut sont mis en œuvre), et d’autre part sur la structure du capital (tranches) proposée. L’objectif est de déterminer quel montant de rehaussement de crédit est nécessaire pour chaque tranche, en vue d’obtenir la note souhaitée.

Comme dans le cadre de la notation des émetteurs, l’agence continue de surveiller le titre noté après avoir publié son rating initial, en particulier le comportement du pool de collatéral face aux conditions économiques. Elle peut alors être amenée à revoir le rating.

L’information et les modèles ayant servi à établir le rating des produits structurés sont rarement rendus publics, au contraire de ce qui se passe dans le cadre des obligations émises par les entreprises, qui sont tenues de rendre publiques un certain nombre de données (bilan, compte de résultat) les concernant.

Des systèmes de notation relativement similaires entre les agences

Quel que soit l’objet de la note, celle-ci est décernée sous la forme de lettres indiquant le niveau de qualité de l’émetteur. Celles-ci vont de AAA à D, où D représente une entité ayant fait défaut (C pour Moody’s).

Moody’sS&PFitchCommentaire
AaaAAAAAASécurité maximale
Aa1AA+AA+Qualité haute ou bonne
Aa2AAAA
Aa3AA-AA-
A1A+A+Qualité moyenne supérieure
A2AA
A3A-A-
Baa1BBB+BBB+Qualité moyenne inférieure
Baa2BBBBBB
Baa3BBB-BBB-
Ba1BB+BB+Spéculatif
Ba2BBBB
Ba3BB-BB-
B1B+B+Hautement spéculatif
B2BB
B3B-B-
CaaCCC+CCCRisque très important
CaCCC
CCCC-
CDDDDEn défaut

Comme vous pouvez vous en douter, la note de triple A est très rarement attribuée. Passons donc en revue les quelques chanceux l’ayant décroché (à août 2023) : 

  • Parmi les Etats, nous avons : l’Allemagne, les Etats-Unis, l’Australie, le Canada, la Suisse, le Danemark, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Norvège, la Nouvelle-Zélande, la Suède et Singapour. Comme vous pouvez le voir, le point commun de ces Etats n’est pas leur richesse propre ou leur PIB, mais plutôt leur stabilité économique. A titre d’exemple la France qui se hisse à la 7ème place au classement des PIB, n’est noté que AA à cause de sa dette très importante (98,1% du PIB, là où l’Allemagne n’est qu’à 59,8%)
  • Parmi les entreprises, seuls Microsoft et Johnson & Johnson, une compagnie pharmaceutique américaine, ont été notées AAA ! 

Pourquoi la notation est-elle importante ?

La notation étant censée être une mesure du risque fidèle d’une contrepartie donnée, plus sa note sera bonne et plus celle-ci aura la capacité de se financer (et à un meilleur taux).

➡️ Ainsi une entreprise ou un État noté triple A, donc très sûr, pourra s’endetter à plus bas coût qu’une entité moins bien notée.

Pour illustrer, début 2023 l’Allemagne, notée AAA, paye 2,43% d’intérêts à ses créanciers pour son obligation à 10 ans. A l’inverse, l’Italie qui n’est notée que BBB (8 marches en dessous du AAA) doit payer à ses créanciers 4,59% d’intérêts, soit quasiment le double de l’Allemagne !

Pour une entreprise cela est également très important. En effet, celles-ci se financent majoritairement par l’ouverture de capital et par l’emprunt. Ainsi, une société ayant un coût d’emprunt très faible aura donc de meilleures opportunités de développement et de profit, en réduisant ses frais.

Cependant, en plus de la note elle-même, la dynamique compte aussi énormément. Prenons par exemple une compagnie notée AA depuis plusieurs années. Cette entreprise a naturellement la confiance des marchés, et de nombreux particuliers investissent en se fiant à cette note. Imaginons maintenant que du jour au lendemain, l’entreprise soit dévaluée en A. Pour de nombreux investisseurs, cette annonce va changer la perception de l’entreprise. Cela va soulever des interrogations concernant la santé de celle-ci, et risque finalement d’aboutir à une perte de confiance.

De plus, pour certains investisseurs, des réglementations ou stratégies d’investissement imposent de placer leurs fonds seulement dans des titres disposant d’une note minimum. Ainsi un changement de note peut aussi amener à l’exclusion automatique du titre dans certains portefeuilles

C’est notamment le cas pour les Exchange Traded Funds (ETF) qui imposent pour leur réplication certaines qualités de titres.

De même, le changement d’une note peut aussi impacter des acteurs tels que les banques. En effet, depuis les différentes crises financières, une réglementation internationale mise en place par le Comité de Bâle impose aux banques de garder un certain niveau de capital, pour faire face aux imprévus. Ce niveau de capital est calculé en prenant en compte les actifs risqués détenus par les banques, et en les pondérant. Et le niveau de risque des actifs reposent… sur les notes accordées par les agences de notation. Ainsi un changement de note peut pousser une banque en dehors des réglementations, l’obligeant alors à ajuster ses investissements. 

Les agences de notation face aux crises financières

Le rôle des agences lors de la crise des subprimes

Les notes données par les différentes agences peuvent avoir un impact très important sur l’économie. Même si ces notes sont présentées comme relatives et comme des opinions, ces deux caractéristiques sont bien souvent oubliées par les autres acteurs, ce qui peut parfois conduire à des catastrophes.

L’exemple le plus connu est certainement celui de la crise des subprimes, qui s’est déclenchée en 2008. 

Auparavant, les agences avaient déjà suscité les critiques lors de faillites retentissantes qu’elles avaient été totalement incapables d’anticiper : Parmalat, Enron, Worldcom, etc. 

Les subprimes sont une catégorie de titres notées BB+ et en dessous. Ils s’opposent aux titres primes, considérés comme relativement sûrs. Ainsi les titres subprimes présentent de grands risques, compensés par un taux de rendement élevé.

Lors des années 2000, le monde financier a vu apparaître et prospérer un nouveau type de produits financiers : les CDO (Collateralised Debt Obligation). Ces produits sont des montages financiers complexes permettant à une banque de mélanger différents titres de dettes, tels que des prêts immobiliers, en un nouveau produit unique. 

Ainsi, dans les années précédant la crise, un grand nombre de banquiers ont commencé à rajouter dans ces CDO des titres subprimes afin d’augmenter leur rentabilité. Cependant, au moment de faire noter ces montages complexes auprès des agences de notation, un jeu de chantage s’est mis en place. 

Comme les agences se rémunèrent uniquement sur leurs clients, via la facturation de leur notations, si une banque amenait un CDO rempli de subprimes à une agence de notation et que celle ci refusait de lui attribuer une note suffisamment haute, la banque pouvait alors simplement menacer l’agence d’aller voir ses concurrents. 

Cette situation, couplée à la complexité des produits, a mené progressivement à une inondation du marché de CDO très bien notés, mais en réalité peu sécurisés. Les acteurs du marché faisant aveuglément confiance aux agences de notation, le jour où ces CDO ont commencé à faire défaut, un sentiment de panique s’est emparé du marché, amenant les agences à brutalement baisser les notes de ces produits. Dans une spirale négative, ces baisses de notes ont aggravé la crise, menant ensuite à une crise financière mondiale.

Les agences de notation et la crise de la dette grecque

Dans un registre proche, les agences de notation ont aussi joué un grand rôle lors de la crise de la dette grecque. En effet, le manque d’un cadre fixe et transparent quant à l’attribution des notes donne aux agences une marge de manœuvre concernant leur notation.

Dès lors, quand les premiers doutes ont commencé à émerger autour de la situation financière de la Grèce, les agences de notation ont décidé de baisser la note du pays. Cette baisse entraînant alors une plus grande difficulté de financement pour le pays, une spirale infernale c’est mise en place.

Ces difficultés ont alors accentué les doutes, et la situation de la Grèce a empiré. Ce cercle vicieux finit par conduire à une nécessaire restructuration de la dette grecque, et l’intervention du Fonds Monétaire International (FMI).

La réglementation des agences de notation

Aux Etats-Unis les agences de notation sont surveillées par la SEC (voir « autorités de tutelle« ). C’est elle qui accorde le statut de NRSRO, Nationally Recognized Statistical Rating Organisation.

L’Union européenne s’est également dotée de sa propre réglementation, applicable à partir d’avril 2010. Ce règlement prévoit une procédure d’enregistrement des agences auprès du CESR (Committee of European Securities Regulators), devenu l’ESMA, l’obligation d’une plus grande transparence sur les méthodes utilisées, la façon dont les conflits d’intérêt sont gérés, etc. Enfin, la réglementation prévoit la création d’une base de données historiques. Elle doit permettre de suivre les performances des ratings dans le temps.

L’IOSCO (International Organization of Securities Commissions) publie quant à elle un code de conduite auquel les agences tendent à se conformer.

Enfin, concernant les investisseurs, il leur est en principe recommandé de ne pas faire une confiance aveugle aux ratings des agences. Mais en même temps, tant que les autorités de tutelle continueront d’utiliser massivement ces mêmes ratings dans la réglementation, on voit mal comment on pourrait s’en passer !