Vous êtes fâché avec l’un de vos enfants, vous estimez que vos enfants doivent gagner leur argent à la sueur de leur front ou vous pensez que vous êtes seul à décider de qui hérite de vos biens, puisque votre propre patrimoine n’appartient qu’à vous. Vous voulez donc priver vos enfants de l’héritage. Alors, peut-on déshériter un enfant ?
En France, il n’est pas possible de priver entièrement un enfant de son héritage, sauf dans de rares exceptions, que nous vous présentons ici.
Mais, sans priver complètement un enfant d’héritage, vous pouvez employer des moyens légaux pour désavantager cet enfant à votre succession.
Déshériter un enfant en France : c’est en principe impossible
En France, les enfants sont protégés par la loi et leur héritage est un droit quasi-intangible. Ce principe date du XVIème siècle et a été inscrit dans le Code civil napoléonien, qui interdisait déjà de spolier entièrement ses enfants légitimes.
La part obligatoire de vos héritiers dans la succession : la réserve héréditaire
Non, vous ne pouvez pas décider de répartir votre héritage comme vous le souhaitez. En effet, chacun de vos enfants est un héritier dit “réservataire”, c’est-à-dire qu’il a le droit, quoi qu’il arrive, à une part de votre patrimoine lorsque vous décédez. Si votre enfant est décédé, ce sont ses propres enfants qui héritent de sa part.
Lorsque vous n’avez pas d’enfants, c’est votre conjoint survivant qui est héritier réservataire.
Cet héritage intangible est appelé “réserve héréditaire” et son montant varie en fonction du nombre d’enfants que vous avez et si vous laissez un conjoint survivant (marié) :
Nombre d’enfant | Réserve héréditaire | Quotité disponible | |
---|---|---|---|
Aucun enfant | Défunt non marié | Aucune | Tout votre patrimoine |
Aucun enfant | Défunt marié | 1/4 au profit du conjoint | 3/4 de votre patrimoine |
1 | 1/2 au profit des enfants | 1/2 de votre patrimoine | |
2 | 2/3 au profit des enfants | 1/3 de votre patrimoine | |
3 ou plus | 3/4 au profit des enfants | 1/4 de votre patrimoine |
Comme vous le voyez, il reste une part du patrimoine qui n’est pas concernée par cette réserve héréditaire ➡️ c’est ce que l’on appelle la quotité disponible.
Votre marge de liberté sur votre succession : la quotité disponible
Vous pouvez décider librement du sort de cette part de votre patrimoine, en effectuant des libéralités, c’est-à-dire que vous transmettez ces biens par une donation de votre vivant ou par testament (transmission de la propriété après votre décès).
Ainsi, vous pouvez décider de l’attribuer à :
- un de vos enfants ou à votre conjoint, en supplément de sa part légale,
- un autre membre de votre famille,
- et même un tiers à la famille, comme un ami, une personne qui vous est chère,
- ou encore à une association.
Vous n’avez pas besoin de justifier votre choix. La loi vous permet de disposer librement de cette fraction.
Exemple
Imaginons qu’à votre décès, vous laissiez 2 enfants. Votre patrimoine s’élève à 1 000 000 € (après solde des dettes) et vous n’avez jamais fait de donations de votre vivant.
Alors :
– chaque enfant recevra obligatoirement 333 333 €, au titre de leur réserve héréditaire,
– mais vous pouvez attribuer librement 333 333 € à la personne ou aux personnes que vous souhaitez, et notamment à une association dont la cause vous tient à cœur. C’est la quotité disponible.
En revanche, si vous attribuez plus que la quotité disponible à des tiers, vos enfants pourront contester l’opération en exerçant une “action en réduction”.
➡️ La libéralité faite aux tiers sera réduite pour que les enfants reçoivent leur réserve héréditaire. Votre liberté de répartir votre héritage est donc limitée par cette réserve héréditaire, véritable protection légale des enfants.
Néanmoins, sachez qu’il existe de rares cas où vous pouvez totalement déshériter vos enfants :
Les cas exceptionnels où l’on peut déshériter un enfant
Le premier cas est prévu par le Code civil (encore un héritage napoléonien), tandis que l’autre résulte de l’application des règles de droit international privé :
1 – L’indignité
Il existe des raisons légitimes qui permettent de déshériter un ou plusieurs de vos enfants. Ils sont regroupés par le Code civil français sous la notion “d’indignité” et s’appliquent dans des situations d’une extrême gravité :
- l’enfant est condamné, comme auteur ou complice, à une peine criminelle pour avoir volontairement donné ou tenté de donner la mort à son parent,
- l’enfant est condamné, comme auteur ou complice, à une peine criminelle pour avoir volontairement porté des coups ou commis des violences ou voies de fait ayant entraîné la mort du défunt sans intention de la donner.
Ces cas justifient alors que l’enfant condamné soit privé du droit d’hériter.
Sachez qu’il existe une seconde exception à l’héritage des enfants, et qui n’a rien à voir avec des faits graves :
2 – L’application du droit étranger à la succession qui ignore la réserve héréditaire
Rappelez-vous, l’affaire Hallyday avait fait la une des journaux télévisés en 2018, lorsque le testament du célébrissime chanteur a révélé qu’il déshéritait totalement deux de ses quatre enfants, Laura et David. En effet, cela était possible en vertu du droit californien, qui ne connaît pas le concept de réserve héréditaire.
Aux USA, comme dans la plupart des pays de Common Law (Angleterre, Pays de Galles, Irlande du Nord, Australie, Canada, Nouvelle-Zélande, etc), une personne distribue comme elle veut son patrimoine à son décès : elle indique par testament qui en hérite et dans quelle proportion. Il n’existe aucune part d’héritage minimum à léguer à ses enfants, et on peut même gratifier son chien !
Vous l’avez compris, l’application de certains droits étrangers des successions permet de déshériter ses enfants.
Quand le droit étranger des successions s’applique-t-il ?
Pour que ce droit étranger s’applique, il faut que vous ayez là-bas votre domicile habituel au jour de votre décès et que vous ayez rédigé un testament conformément à cette loi.
De plus, il faut que vous ayez certains liens caractérisés avec cet autre pays, il ne suffit pas d’y décéder mais de s’y être marié par exemple, ou d’y avoir vécu une grande partie de sa vie, de s’y être implanté.
Quelles limites à l’application du droit étranger ?
Dans certaines situations, le testament rédigé en vertu du droit étranger pourra être écarté :
1 – L’exception d’ordre public et la fraude à la loi
Tout d’abord, le testament peut être écarté s’il viole un principe essentiel du droit français ou si ce testament a pour but de contourner volontairement la loi française (fraude à la loi). Voici quelques situations :
- un héritier est en situation de précarité financière et ne peut subvenir à ses besoins sans cet héritage,
- la privation de cet héritage fondée sur le sexe ou la religion de l’enfant,
- le défunt avait l’intention de frauder la loi internationale (c’est-à-dire de rédiger un testament sous un droit étranger qui ne devait pas s’appliquer).
2 – Le prélèvement compensatoire
Ensuite, pour les successions ouvertes après le 1er novembre 2021, un nouveau droit existe pour les héritiers qui seraient spoliés : le droit de prélèvement compensatoire. Lorsque les conditions suivantes sont remplies, les héritiers exhérédés peuvent revendiquer une partie d’héritage sur les biens situés en France :
- le défunt, ou au moins l’un des enfants, est ressortissant ou résident habituel d’un État membre de l’Union européenne au moment du décès,
- la loi étrangère applicable à la succession ne prévoit aucune réserve héréditaire ou un droit similaire sur la succession au bénéfice des enfants,
- et il y des biens meubles ou immeubles situés en France dans la succession.
Evitez la manipulation des lois étrangères pour déshériter vos enfants et regardez plutôt les moyens légaux pour réduire la part d’héritage d’un enfant en France.
A noter : presque tous les pays anglo-saxons accordent la possibilité aux enfants d’agir en justice pour réclamer une partie d’héritage s’ils sont en situation de précarité économique ou de besoin (“Family Provisions”).
Les alternatives pour diminuer les droits d’un enfant à la succession
Sans chercher à déshériter un enfant, vous pouvez minimiser ses droits dans l’héritage, en utilisant plusieurs techniques d’organisation patrimoniale (que vous pouvez donc combiner) :
1 – Faites des donations ou des legs à hauteur de votre quotité disponible
Vous êtes libre de disposer d’une partie de votre patrimoine à votre décès : c’est la quotité disponible, exposée ci-dessus dans l’article.
Donc, lorsque vous attribuez cette part de votre patrimoine par legs ou par donation à une personne tierce, vous laissez moins d’héritage à vos enfants. Démonstration :
Exemple comparé
Je décède et je laisse 3 enfants. Mon patrimoine immobilier et financier est estimé à 250 000 € et je ne laisse aucune dette.
Exemple 1 : je ne fais rien
Si je ne fais rien, alors, chaque enfant se partage mon patrimoine à mon décès, par parts égales. Donc, ils auront chacun : 250 000 / 3, soit 83 333 € par enfant.
Exemple 2 : je fais un legs universel à hauteur de la quotité disponible
En présence de 3 enfants, je peux attribuer ¼ de mon patrimoine à qui je souhaite, sans que cette opération ne soit contestée. Alors, je choisis de léguer 62 500 € à mon amant.
Mes enfants n’héritent plus que de ¾ du patrimoine, divisé en parts égales, soit 62 500 € chacun (contre 83,3K € dans le cas précédent).
Si je souhaite avantager un enfant plutôt que les autres, je lui lègue cette quotité disponible. Il héritera donc de 125 000 €, tandis que ses frères et sœurs n’hériteront que de 62,5K€.
Rappel de la part maximale que vous pouvez attribuer librement
Nombre d’enfants | Quotité disponible |
---|---|
1 | 50% du patrimoine |
2 | 33,33% du patrimoine |
3 ou plus | 25% du patrimoine |
2 – Utilisez l’assurance-vie
➡️ L’assurance-vie est en principe hors succession, en vertu de l‘article L.132-13 du Code des assurance. Cela signifie que toutes les sommes que vous y placez et qui seront versées au bénéficiaire (que vous choisissez) à votre décès n’entrent pas dans votre héritage !
Théoriquement, il serait donc possible de déshériter ses enfants en vendant tout son patrimoine, puis en plaçant les sommes en assurance-vie, et enfin en désignant votre meilleur ami bénéficiaire. Que nenni !
🚨 Attention, en réalité, vos enfants pourraient contester ces opérations si vous utilisez l’assurance-vie pour contourner la réserve héréditaire.
Ils devront alors faire valoir que les primes versées étaient “manifestement exagérées”, c’est-à-dire disproportionnées par rapport aux facultés du souscripteur au jour du versement.
Pour apprécier ce caractère exagéré, seuls les juges sont compétents. Ils vont prendre en compte la situation au jour du versement (et non pas au décès) : l’âge du souscripteur, son patrimoine, ses revenus, sa situation familiale, l’utilité d’un tel contrat, etc.
Donc, vous comprenez ici que placer tout votre patrimoine en assurance-vie et désigner un autre bénéficiaire que vos enfants :
- est contestable puisque vous atteignez la réserve héréditaire de vos enfants, qui devront saisir les tribunaux,
- offre très peu de visibilité voire aucune sécurité juridique, puisqu’aucun critère objectif n’est énoncé sur la proportion acceptable que l’on peut mettre en assurance-vie. La solution dépendra uniquement du juge et de votre situation à l’époque de chaque versement.
Il faut donc manier l’assurance-vie avec précaution. Si vous déshéritez totalement vos enfants au moyen de cet outil, vous pouvez être sûr qu’ils contesteront les versements à votre décès !
Voici quelques conseils pour éviter les contestations par vos enfants ou par le fisc :
-
- ouvrez une assurance-vie et faites des versements réguliers, le plus tôt possible (de préférence bien avant 70 ans),
- lorsque vous vendez un bien immobilier ou des parts d’entreprise, versez le produit de la vente sur votre contrat d’assurance-vie,
- ne videz pas tous vos comptes bancaires pour verser les sommes en assurance-vie sur une période restreinte,
- ne fraudez pas les organismes sociaux et déclarez toutes les ressources dont vous disposez (notamment les héritages que vous recevez et que vous versez en assurance-vie),
- notez que vous pouvez ouvrir plusieurs assurances-vie, cela pourra permettre plus de discrétion quant aux bénéficiaires de chaque contrat.
A savoir : l’assurance-vie est un merveilleux outil de gestion de patrimoine, abstraction faite des atouts successoraux. Un contrat d’assurance-vie offre de nombreux avantages financiers et fiscaux, que nous vous rappelons ici.
3 – Faites des présents d’usage
Ces dons manuels spécifiques échappent à toute déclaration et à toute fiscalité pourvu que ces présents d’usage soient :
- justifiés par un événement particulier (mariage, anniversaire, diplôme, fêtes religieuses, etc),
- proportionnées à votre patrimoine et vos revenus.
Si ces cadeaux doivent être modestes par rapport à votre patrimoine, c’est déjà ça en moins sur l’héritage, et c’est l’occasion de faire plaisir à des proches sans taxation !
Questions fréquentes
Non, c’est impossible en principe en France, sauf dans 2 cas : l’enfant est « indigne » (il a été condamné pour tentative de meurtre ou violences à l’encontre de son parent), ou c’est un droit étranger qui s’applique à la succession et qui ignore la réserve héréditaire.
En France, il n’est pas possible de déshériter complètement un enfant. Vous pouvez néanmoins réduire sa part d’héritage en utilisant l’assurance-vie, en attribuant la quotité disponible à un autre enfant ou à toute personne que vous choisissez ou en faisant régulièrement des présents d’usage.
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