Le taux d’intérêt et l’actualisation

Le taux d’intérêt peut se définir comme le prix de la monnaie pour un échange différé dans le temps. Le taux annuel exprime le prix de la renonciation à une certaine somme aujourd’hui, contre un paiement dans un an. Très précisément, j’accepte de prêter ou investir la somme M aujourd’hui, en échange du remboursement de M’ dans un an, avec

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où t est le taux d’intérêt.

(Remarque: l’objet de ce document est d’introduire un certain nombre de concepts relatifs à la gestion du risque de taux, en particulier obligataire. Dans toutes les formules, le taux d’intérêt est supposé être un taux annuel, les flux d’intérêt payés annuellement et les montants calculés pour des années entières. On laisse de côté la question des flux semi-annuels, comme c’est le cas aux Etats-Unis, ou des calculs d’intérêts courus sur moins d’un an.)

Réciproquement, connaissant le montant d’un flux monétaire M’ payable dans un an, le taux annuel permet de calculer le montant M que je suis prêt(e) à payer aujourd’hui en échange de ce remboursement futur :

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C’est ce qu’on appelle l’actualisation, c’est-à-dire le calcul de la valeur actuelle d’un flux monétaire futur.

Si maintenant le remboursement est payable non pas dans un an mais dans deux ans, le taux d’intérêt s’applique deux fois:

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Ou encore en valeur actuelle :

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Et ainsi de suite pour 3 ans, 4 ans, … n ans. C’est ce qu’on appelle les intérêts composés, ou encore la capitalisation des intérêts. En effet au bout d’un an, le montant M investi initialement a généré un montant d’intérêts égal à (M x t), qui est réinvesti pour générer à nouveau des intérêts.

Les taux de marché et les courbes de taux

Le marché des taux est un marché extraordinairement divers, profond et complexe. C’est en effet sur ce marché que viennent se financer à court, moyen ou long terme, sous forme de dette (contrairement au marché des actions qui est le marché du capital), les Etats, les collectivités locales, les entreprises et même les particuliers via les prêts immobiliers ou les prêts à la consommation.

Les facteurs déterminants des taux pratiqués sur le marché sont donc multiples et ce n’est pas le propos de cet article de les passer en revue, car c’est un sujet avant tout macro économique.

Afin de poursuivre l’analyse, il va nous suffire de quelques notions basiques mais essentielles. À la base, le taux demandé par un investisseur pour accepter de prêter son argent à un émetteur dépend de :

  • La durée du prêt : sauf cas très particulier dit « d’inversion de la courbe des taux », plus l’échéance est lointaine, plus le taux demandé est élevé
  • La solvabilité de l’émetteur : plus celui-ci présente un risque de défaut élevé, plus le taux demandé sera élevé. Cette capacité de l’émetteur à remplir ses engagements est mesurée par les agences de notation. La meilleure note est généralement attribuée aux Etats. Ceux-ci ont ainsi la possibilité de se financer au taux le plus bas, qu’on appelle le « taux sans risque » (une denrée toutefois  de plus en plus rare en ce moment!). Les autres émetteurs vont devoir payer une « prime de risque » ou « spread », c’est-à-dire un taux d’autant plus élevé que leur notation est mauvaise.
  • Les taux des titres déjà émis sur le marché pour des maturités et des émetteurs de qualité comparable : c’est ici qu’intervient la notion de comparabilité entre plusieurs investissements possibles, et l’influence des variations des taux de marché sur la valorisation des instruments détenus en portefeuille, c’est-à-dire la problématique qui nous intéresse : le risque de taux.

A partir des taux pratiqués sur le marché pour les instruments les plus utilisés, comme les emprunts obligataires et les swaps de taux, il est possible de construire des courbes de taux. Ces courbes représentent, sous forme graphique, un ensemble cohérent de taux d’intérêts classés par maturité croissante. Elles vont servir de référence pour valoriser les instruments financiers et évaluer le risque de taux.

La valorisation d’un instrument de taux

Que vaut aujourd’hui, et par conséquent quel montant l’investisseur doit-il accepter de payer, pour acquérir un instrument, par exemple une obligation, qui paiera un coupon C1 dans un an, C2 dans deux ans, etc., ainsi qu’un montant de remboursement M à maturité?

La manière la plus précise de répondre à cette question est de sélectionner la courbe des taux la plus appropriée à la qualité de l’émetteur de l’instrument et à sa durée de vie totale, et d’appliquer la formule d’actualisation. La valeur actuelle V de l’obligation est égale à la somme des valeurs actualisées de ses flux futurs :

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La duration

Il y a une relation inverse entre les taux de marché et le prix des obligations :

  • Si les taux de marché augmentent, le prix sur le marché secondaire des obligations déjà émises diminue.
  • Si les taux de marché diminuent, le prix sur le marché secondaire des obligations déjà émises augmente.

Cette relation peut s’expliquer intuitivement si l’on considère que, si les taux augmentent, les nouvelles émissions paieront un meilleur taux que les obligations déjà émises, rendant ces dernières moins attractives pour les investisseurs. Leur prix va donc diminuer sous l’effet de la loi de l’offre et de la demande. Réciproquement si les taux diminuent, les obligations anciennes sont plus attractives que les nouvelles et leur prix augmente.

Si l’on préfère s’en tenir à la froide objectivité des mathématiques, on peut observer que la valeur de marché des obligations se calcule par une formule d’actualisation, vue plus haut, où le taux intervient au dénominateur. Il y a donc une relation inverse entre le taux et la valeur actualisée des flux futurs.

Donc si les taux de marché augmentent, la valeur des obligations que l’investisseur détient en portefeuille diminue. S’il les revend, il génère une perte en capital. Cependant, ces obligations lui paient des coupons, qu’il va pouvoir réinvestir à un taux plus avantageux que l’investissement initial. Au bout d’un moment, le gain sur le réinvestissement des coupons va compenser la perte en capital.

Réciproquement, si les taux de marché diminuent, le réinvestissement des coupons ne pourra être fait qu’à un taux moins avantageux que les obligations déjà détenues en portefeuille. Cependant, la valeur de marché de ces dernières augmente, générant un gain en capital. De la même manière, ce gain va au bout d’un certain temps compenser la perte sur le réinvestissement des coupons.

On voit que quand les taux varient, il y a un jeu de balancier entre le gain ou la perte en capital et la perte ou le gain sur le réinvestissement de coupons, et qu’il existe une durée de détention « idéale » au terme de laquelle les deux effets se compensent. Cette durée de détention s’appelle la duration. La duration se calcule de la manière suivante :

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Où T est le taux actuariel de l’obligation

Le concept de duration a été inventé par Macaulay, c’est pourquoi on l’appelle aussi « duration de Macaulay » (Macaulay duration). Il s’agit d’une moyenne pondérée: c’est la moyenne des durées de vie des flux de l’obligation, pondérée par leur valeur actualisée. On peut l’assimiler à la durée de « vie financière » de l’obligation.

La duration est toujours inférieure à la durée de vie résiduelle de l’investissement. Cela se comprend dans la mesure où il existe des flux intermédiaires, qui vont donc commencer de rembourser l’investissement initial avant l’échéance. La duration est donc aussi la durée au terme de laquelle les revenus générés par l’obligation compensent l’investissement initial. (Toujours avec l’hypothèse que les flux intermédiaires peuvent être placés sur le marché au taux actuariel T).

On montre que pour immuniser un portefeuille contre le risque de taux, il faut que sa duration soit égale à la durée de détention prévisionnelle. Cela implique d’investir dans des instruments dont la durée de vie résiduelle est en fait beaucoup plus longue que la durée de détention prévue, puisque comme on l’a vu la duration est toujours inférieure à la durée de vie résiduelle de l’instrument.

Plus le taux facial de l’obligation est élevé, plus les montants des coupons, et donc des paiements intermédiaires, sont élevés, et donc plus la duration de l’obligation est faible. A l’opposé, une obligation à coupon zéro a une duration exactement égale à sa maturité, puisqu’elle ne paie pas de coupons.

De la même manière, plus la durée de vie de l’obligation est importante, plus sa duration est importante, mais la relation n’est pas proportionnelle.

La sensibilité

On a vu que le prix de marché d’un titre obligataire réagissait en sens inverse à l’évolution des taux. Quels sont les facteurs qui influencent cette réaction, et dans quelle proportion?

Il y a deux facteurs déterminants: la durée de vie résiduelle ou maturité de l’obligation, et le montant du coupon ou taux facial :

  • Plus la maturité est élevée, plus le prix de marché de l’obligation réagit fortement à une variation du taux actuariel.
  • Plus le coupon est faible, plus le prix de marché de l’obligation réagit fortement à une variation du taux actuariel.

La sensibilité d’un instrument de taux mesure la variation relative de son prix de marché pour une variation des taux donnée, par exemple 1%. Elle se définit donc comme:

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V0 est la valeur de marché initiale, et V1 la valeur de marché finale (après la variation de taux). Mais bien évidemment cette formule est théorique et ne permet pas de calculer la sensibilité, c’est-à-dire un indicateur qui va permettre d’anticiper les réactions d’un instrument (ou d’un portefeuille) aux fluctuations des taux.

En fait on montre (mais cela dépasse le champ de cet exposé!) qu’il y a un lien entre la sensibilité et la duration :

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D’où :

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Cet indicateur est un indicateur absolu: il donne un risque de taux par euro investi. Du fait de son lien étroit avec la duration on l’appelle aussi « modified duration« . Les traders utilisent aussi la BPV (Basis Point Value) qui donne la perte (le gain) en capital qui résulte de la hausse (la baisse) d’un point de base (0.01%) du taux actuariel: il s’agit de la sensibilité, multipliée par le prix de marché de l’instrument :

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La BPV s’appelle aussi DV01 pour « Dollar Value of 0.1% ».

La convexité

Le prix d’une obligation réagit aux variations du taux actuariel et il est possible de prédire dans quelles proportions, via la sensibilité. Ces fluctuations ne sont pas symétriques, c’est-à-dire qu’une hausse des taux a  un impact plus négatif sur le prix qu’une baisse des taux n’a un impact positif. Ceci est dû à la convexité de la courbe qui représente la variation du prix d’une obligation en fonction de son taux de rendement.

On montre que la sensibilité est en fait égale à la dérivée première du prix par rapport à son taux de rendement. La sensibilité donne donc la pente de la tangente à la courbe pour un niveau de taux donné. La convexité correspond donc, quant à elle, à la dérivée seconde de cette même fonction. Plus la convexité est importante, plus l’obligation réagira lentement aux hausses de taux (baisse du prix), et rapidement aux baisses de taux (hausses du prix). Entre deux obligations, l’investisseur privilégiera donc celle dont la convexité est la plus élevée pour la garder en portefeuille.

La convexité est liée au taux facial et à la maturité de l’instrument sur le même mode que la duration et la sensibilité: plus le coupon est élevé, plus la convexité est faible; et plus la maturité est élevée, plus la convexité est importante.

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