Qu’est-ce que la liquidité bancaire ?
En tant qu’intermédiaires financiers, les banques collectent les dépôts du public, mettent à la disposition de leurs clients des moyens de paiement et octroient des crédits. Une caractéristique fondamentale du métier bancaire réside dans le non-adossement des actifs et des passifs. Qu’est-ce que cela signifie ?
Tout d’abord, rappelons qu’en gestion financière d’entreprise, il est préconisé de faire en sorte que chaque classe d’actifs, triés par maturité, soit financée par du passif d’au moins aussi long terme, et même si possible par du passif de plus long terme. Le directeur financier peut ainsi tabler sur la réalisation de chaque actif en même temps voire avant que le passif correspondant ne devienne exigible.
Or le banquier pratique quotidiennement exactement l’inverse : il finance des actifs de moyen-long terme, les créances, par du passif de très court terme puisqu’il est exigible immédiatement : les dépôts à vue de la clientèle. D’une façon plus générale, la banque génère un bénéfice en travaillant sur le différentiel de taux entre les éléments d’actif (créances, instruments financiers) et les éléments de passif (dépôts, emprunts). La courbe des taux étant en règle générale croissante avec le temps, la banque a structurellement tendance à financer ses actifs par du passif de plus court terme. On dit qu’elle fait de la transformation.
Ceci va avoir une conséquence importante sur la gestion de son bilan. Le trésorier de la banque se trouve en permanence devant une situation où son passif s’écoule à un rythme plus rapide que ses actifs. Il est donc en permanence à la recherche de financement. On parle de « refinancement » dans la mesure où chaque actif, au cours de sa vie, va potentiellement devoir être financé plusieurs fois.
Cette contrainte sur la liquidité bancaire peut très vite se transformer en crise de solvabilité pour la banque. En effet, si une banque se trouve de manière imprévue à devoir faire face à une demande de remboursements accrue (bank run par exemple), elle va devoir liquider dans l’urgence et donc dans de mauvaises conditions des actifs. Réciproquement, une croissance non planifiée de ses actifs peut également mettre la banque en difficulté lors du refinancement de ceux-ci, si par exemple les conditions de marché ont changé entre-temps.
Car en effet la liquidité bancaire est étroitement liée à la liquidité du marché, qui désigne la possibilité de trouver facilement pour un actif financier donné une contrepartie à l’achat ou la vente, et ce de telle sorte que la transaction puisse se faire sans impact significatif sur le prix. La gestion de la liquidité bancaire nécessite donc à la fois une bonne maîtrise des caractéristiques des différents éléments de bilan et aussi une connaissance approfondie des instruments du marché des taux, en particulier de sa composante à court-moyen terme, le marché monétaire.
La gestion de la liquidité bancaire constitue un élément important de la gestion actif-passif (ALM, Asset & Liability Management). La liquidité constitue la composante de la gestion actif-passif qui s’intéresse aux flux financiers générés par l’activité bancaire et à leur adossement dans le bilan de la banque. L’autre composante, que nous laissons de côté dans cet article concerne les taux auxquels les éléments de passif et d’actif sont rémunérés et leur adossement.
Contraintes réglementaires
Au début des années 2000, les banques ont cru pouvoir s’affranchir de la contrainte de liquidité en recourant massivement à la titrisation pour refinancer leurs créances. Au lieu de conserver celles-ci dans leur bilan, elles les cèdent à un véhicule adhoc, qui lui-même va émettre des titres qu’il vend sur le marché. (Pour plus d’information sur la titrisation, voir cet article). On passait ainsi d’un modèle « originate to hold » à un modèle « originate to distribute ». Malheureusement cette méthode a rencontré ses limites lors de la crise des subprimes. Le marché s’est subitement avisé que les titres ainsi vendus comme des petits pains n’étaient pas forcément aussi solides que leur notation semblait l’indiquer, entrainant une crise de liquidité massive sur ce marché, qui s’est bien évidemment répercutée sur le bilan des banques.
C’est pourquoi les régulateurs ont décidé d’imposer des contraintes de liquidité sur le bilan des banques. Désormais celles-ci vont devoir détenir une proportion minimale d’actifs liquides, c’est-à-dire facilement négociables, à leur bilan. Les accords de Bâle III définissent ainsi deux ratios de liquidité, l’un à court terme, le Liquidity Coverage Ratio, et l’autre à moyen terme, le Net Stable Funding Ratio. Ainsi, de même que Bâle II imposait une contrainte sur le passif de la banque (détenir une proportion minimale de capital face aux risques de crédit, de marché et opérationnels), qui continue de s’appliquer et a même été durcie, Bâle III ajoute une contrainte sur l’actif: détenir une proportion minimale d’actifs liquides face au passif de la banque.
Ces ratios de liquidité ne sont toutefois pas une contrainte entièrement nouvelle pour les banques. Les banques françaises sont depuis longtemps soumises, via l’ACP (Autorité de Contrôle Prudentiel) à un ratio de liquidité, dont le mode de calcul était toutefois notablement différent (et notablement plus sophistiqué, diront les mauvaises langues) de celui de Bâle III. Par ailleurs, il faut citer également le mécanisme des réserves obligatoires imposé par les banques centrales, qui contraignent les banques à conserver une proportion des dépôts collectés sous forme liquide sur un compte à la banque centrale.
Nous allons maintenant nous intéresser concrètement aux méthodes utilisées pour gérer la liquidité bancaire. Quel que soit l’horizon temporel considéré, nous distinguerons :
- Les outils prévisionnels, qui permettent au trésorier de bâtir une vision fiable de la situation de liquidité de la banque. La fiabilité va bien évidemment dépendre de la capacité à traquer tous les flux financiers entrants et sortants, avec leur date et leur montant.
- Les outils de couverture qui lui permettent de financer les déficits de liquidité, ou de placer les excédents (cela arrive aussi heureusement!).
La gestion de la liquidité à moyen terme
La prévision de liquidité à moyen terme passe d’abord par la construction de rapports que l’on appelle les « impasses » ou les « gaps » de liquidité. En quoi ces rapports consistent-ils ? On part de l’inventaire des éléments d’actif et de passif au jour J et l’on regarde leur évolution au fil du temps, en faisant l’hypothèse d’une « cessation d’activité », c’est-à-dire qu’il n’y a pas de création de nouveaux actifs ni de nouveaux passifs.
Pour une impasse en stock, on part de la situation au jour J (forcément équilibrée) et l’on regarde ce que vaudront les différents éléments à des dates prévisionnelles de plus en plus éloignées. En l’absence de nouveaux éléments (acquisition de nouveaux actifs financiers, création de nouvelles créances à l’actif, nouvelles dettes ou collecte de nouveaux dépôts au passif), ces stocks vont forcément décroître au fil du temps. A chaque date prévisionnelle, le décalage entre la position au passif et à l’actif matérialise un besoin de financement (si passif résiduel < actif résiduel) ou au contraire un excédent de financement à utiliser.
Pour une impasse en flux, on raisonne cette fois non plus sur les positions résiduelles mais sur les entrées-sorties de fonds: paiements d’intérêts, remboursements, etc. Les impasses en flux et en stock sont bien évidemment liées: les impasses en stock sont égales à la somme des impasses en flux depuis l’origine. Les deux visions sont ainsi complémentaires.
En fonction des décalages ainsi matérialisés, le trésorier peut prendre ses décisions de financement ou de placement. Cette vision agrégée évite de mettre en place des adossements opération par opération, ce qui ne serait pas optimal sur le plan économique.
Bien sûr, la construction des impasses nécessite de faire des hypothèses sur certains éléments qui ne génèrent pas de flux financiers planifiables à l’avance, tels que les dépôts de la clientèle ou les immobilisations. Pour cela, des modèles statistiques existent.
La plupart du temps, on va utiliser des impasses ou gaps « statiques », c’est-à-dire sans faire l’hypothèse de création de nouveaux éléments d’actif ou de passif. Toutefois, les impasses dynamiques, qui ajoutent à la vision statique des scénarios possibles sur l’évolution de l’activité, vont permettre par exemple de valider les budgets prévisionnels de la banque, ou alors de visualiser comment le bilan de la banque va résister à des situations de « stress » sur le marché (augmentation des retraits, dégradation de la liquidité, etc…).
Les moyens de couverture
Nous nous intéressons ici aux instruments qui vont permettre aux banques de couvrir leur besoin de financement, sachant qu’un excédent des passifs sur les actifs (on parle de bilan « surconsolidé ») trouvera rapidement son utilisation sur les marchés ou via l’octroi de nouveaux crédits.
Comme on l’a vu, un poste important du passif est celui des dépôts de la clientèle. À titre d’exemple, on notera que dans le bilan d’une banque généraliste comme BNP Paribas à fin 2011, le total des dettes envers la clientèle (comptes à vue, comptes à terme, comptes d’épargne et opérations de pension), représentait 30% du total du bilan. Il s’agit donc toujours, en dépit de la financiarisation croissante de l’activité bancaire, d’une ressource importante.
Une autre source de refinancement importante pour les banques, et même obligatoire, est le financement par la banque centrale. Le recours au refinancement de la banque centrale est un passage obligé pour les banques commerciales, dans la mesure où la banque centrale, via les réserves obligatoires et la monnaie fiduciaire (pièces et billets), « absorbe » une partie de la liquidité bancaire disponible. Le système bancaire se trouve ainsi contraint de recourir aux injections de liquidité de la banque centrale. Ces injections de liquidité constituent le principal outil de mise en œuvre de la politique monétaire par la banque centrale mais c’est un autre sujet.
Dans la zone Euro, le refinancement par la banque centrale est octroyé via une procédure d’appel d’offres hebdomadaire pour les opérations principales de refinancement. Les banques retenues doivent apporter du collatéral éligible (titres obligataires de bonne qualité ou créances commerciales d’un montant suffisant) en garantie du prêt octroyé par la banque centrale.
Enfin, les banques peuvent également trouver du refinancement sur le marché interbancaire, via les instruments financiers suivants. 👇
Instruments garantis
Court terme
- repo : combinaison d’une vente de titres en date de valeur contre l’engagement de racheter (repo = repurchase agreement) les titres pour un montant équivalent, augmenté d’intérêts, en date d’échéance. (Plus d’info sur cette page).
- ABCP (Asset Backed Commercial Paper) : titrisation de créances commerciales ; les titres émis sont à court terme.
Long terme
- Covered bonds : titres obligataires garantis par des créances, généralement hypothécaires. Les créances en question restent au bilan de la banque, contrairement aux ABS ou ABCP, où les créances sont cédées à un véhicule spécial (special purpose vehicle).
- ABS (Asset Backed Securities) – voir notre article sur la titrisation.
Instruments non garantis
Court terme
- Emprunt en blanc : emprunt non garanti.
- Papier commercial (commercial paper).
- Certificat de dépôt : voir notre article sur les TCN.
Long terme
➡️ Pour plus d’information sur les modalités pratiques de la gestion de liquidité, découvrez comment fonctionne un desk trésorerie.
La prévision de liquidité quotidienne
La gestion de la liquidité à moyen – long terme raisonne sur les grandes masses, et peut s’accommoder de quelques approximations, que le trésorier va ajuster au fil du temps, jusqu’à ce que l’horizon de prévision se réduise à un jour : à ce moment-là, les approximations ne sont plus possibles, et il faut réussir « l’atterrissage » de fin de journée. À ce moment, l’outil de prévision ne se trouve plus dans le bilan de la banque, mais dans les positions espèces sur les comptes de banque centrale et de correspondants. En cas d’erreur, les conséquences peuvent être dommageables pour la banque. En effet, ne pas ajuster sa position de liquidité au jour le jour signifie que la banque termine la journée avec un compte en banque centrale ou un compte de correspondant (pour les devises) excessivement débiteur ou créditeur.
- Un solde débiteur en banque centrale est tout simplement interdit : s’il n’a pas couvert à temps sa position, le trésorier doit recourir à la facilité de prêt, que la banque centrale facture à un taux dissuasif. De la même façon, un solde débiteur sur un compte de correspondant sera facturé par des agios potentiellement élevés.
- Réciproquement, un solde exagérément créditeur signifie que la banque fait une perte d’opportunité. L’argent ainsi en dépôt sur un compte courant ne sera pas ou peu rémunéré, alors qu’il aurait pu être placé sur le marché.
Bref, au quotidien une trésorerie bien gérée est une trésorerie à zéro. Aboutir à ce résultat est un exercice complexe et délicat car il nécessite de traquer absolument tous les flux de trésorerie quotidiens de la banque afin de les consolider en une position globale par devise.
La gestion de liquidité au quotidien repose donc sur un cycle en plusieurs étapes, chacune nécessitant une grande fiabilité aussi bien des systèmes d’information que des opérateurs impliqués.
Prévision
La prévision de liquidité du jour J s’appuie sur le solde réconcilié (voir plus bas) de la fin de journée J-1, auquel vont venir s’agréger tous les flux entrants et sortants prévisionnels de la journée J.
Le calcul doit être finalisé suffisamment tôt pour laisser le temps au trésorier de couvrir la position, c’est-à-dire d’emprunter le besoin de trésorerie ou placer l’excédent sur le marché interbancaire. C’est pour cette raison que dans le système Target2, les paiements initiés par les clients des banques se terminent une heure plus tôt que les échanges interbancaires. Pour les soldes en devise, il faut en plus tenir compte des décalages horaires : ainsi pour une banque européenne, le solde prévisionnel de J en Yen doit en fait être calculé dès J-1, tandis que le solde en dollar US bénéficie d’un délai plus court que celui de l’Euro.
Cette activité de prévision est généralement suivie par un service dédié au back-office.
Nivellement
Bien souvent une banque n’a pas qu’un seul compte dans chaque devise, mais plusieurs. À côté d’un compte principal sur lequel elle centralise l’essentiel de sa trésorerie et de ses paiements, elle va devoir ouvrir des comptes annexes chez d’autres intermédiaires, tels que dépositaires titres, comptes d’appels de marge auprès des chambres de compensation, etc. Le nivellement consiste à provisionner chaque compte annexe du montant suffisant pour couvrir le solde prévisionnel de fin de journée, et centraliser le reste sur le compte principal. Il s’agit donc de transferts de compte à compte, qui sont initiés par le back-office.
Couverture
Comme mentionné plus haut, la couverture nécessite de recourir au marché interbancaire pour placer ou emprunter les fonds. Un opérateur de marché va donc intervenir à ce stade, négocier l’opération et l’entrer dans le système d’information de la trésorerie. C’est, au front office, le desk de trésorerie qui se charge de négocier ces opérations.
Réconciliation
En fin de journée, tous les correspondants et systèmes de paiement auprès desquels la banque détient des comptes cash vont communiquer un relevé de compte. Ce relevé est tout à fait similaire à celui que reçoit un simple particulier de la part de sa banque, sauf qu’il est communiqué avec une fréquence quotidienne (des relevés intermédiaires en cours de journée sont même possibles) et le plus souvent sous forme électronique, l’exemple le plus courant étant le MT950 via SWIFT.
Ce relevé va permettre de rapprocher l’information du correspondant avec les systèmes de gestion et le système comptable de la banque. Étant donné les nombres potentiellement élevés de flux à rapprocher, il existe des solutions logicielles pour automatiser ces rapprochements. Les opérateurs en charge de la réconciliation n’ont plus qu’à investiguer les écarts relevés par le système de réconciliation automatique. Ces écarts peuvent venir aussi bien d’erreurs du côté de la banque que du côté du correspondant. Cette dernière étape va permettre d’obtenir un solde fiable pour l’ouverture de la journée suivante.
La gestion de la liquidité intrajournalière
Il y a un horizon encore plus court que celui de la liquidité quotidienne : celui de la liquidité intrajournalière. En effet, les systèmes de paiement comme Target2 et de règlement-livraison comme ESES (Euroclear France) sont de plus en plus des systèmes bruts en temps réel (en anglais RTGS, Real Time Gross Settlement). Cela signifie que les flux cash dans ces systèmes sont exécutés individuellement et immédiatement dès qu’ils sont présentés. Afin de ne pas voir ses échanges bloqués, la banque doit parfois financer temporairement sa position cash dans ces systèmes. Dans Target2 par exemple, il y a une ligne de crédit qui vient s’ajouter à la position cash détenue par le participant sur son compte. Cette ligne de crédit est octroyée par la banque centrale, contre du collatéral éligible.
La chasse au collatéral
Si l’on prête attention aux principaux outils de refinancement inventoriés dans cet article, il apparaît rapidement que la plupart des instruments nécessitent pour la banque d’apporter des garanties (du collatéral) sous forme d’actifs de bonne qualité, en échange des crédits obtenus, que ce soit de la part de la banque centrale ou de la part de ses consœurs. Cela est d’autant plus vrai à l’heure actuelle que les récentes crises financières ont singulièrement entamé la confiance des banques les unes envers les autres, réduisant la possibilité d’obtenir du financement « en blanc », c’est-à-dire sans garantie. De ce fait, et aussi du fait des nouveaux ratios de liquidité, il devient de plus en plus crucial pour les banques de se constituer des portefeuilles de titres de bonne qualité pouvant être utilisés en collatéral.
- Gestion Actif-Passif, Finance Factory
- Charles Goodhart, la gestion du risque de liquidité, revue de la stabilité financière, n° 11, février 2008
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