Elles font débat et sont vues comme des concurrentes aux cryptomonnaies. Nous parlons des CBDC (MNBC)

Un peu de vocabulaire pour commencer. CBDC est l’acronyme anglais, pour Central Bank Digital Currency. MNBC est l’acronyme français, pour Monnaie Numérique de Banque Centrale. Dans cet article, nous allons alterner entre les deux acronymes. 

Les MNBC sont arrivées sur le devant de la scène en 2019. Amélioration du système monétaire pour les uns, entrave aux libertés pour les autres, qu’est-ce qui se cache derrière ces acronymes ?

Qui a sorti du chapeau les CBDC (MNBC) ?

Qu’est-ce qu’une monnaie numérique de banque centrale (MNBC)

Les MNBC sont souvent surnommées « cash numérique ». Et c’est un bon raccourci. Les CBDC sont effectivement l’équivalent de nos pièces et billets en mode numérique, parce qu’elles sont a priori émises par une banque centrale. 

Pour rappel, la création monétaire est plus ou moins divisée en deux branches (nous en reparlerons un peu plus bas) : 

  • Les pièces et billets (le fameux cash, ou argent liquide), imprimés par la banque centrale,
  • La monnaie scripturale, créée par les banques commerciales.

En Europe, c’est la Banque Centrale Européenne (BCE) qui a le pouvoir de création monétaire pour le cash, en délégant une partie de cette compétence aux banques centrales de la zone euro, comme la Banque de France.

En résumé, une MNBC vient s’ajouter la création monétaire, soit aux côtés du cash, soit en remplacement du cash.

Les CBDC, une réponse au projet Libra de Facebook…

Libra, ce nom vous dit peut-être quelque chose. Fin 2019, Mark Zuckerberg annonce le nouveau grand projet de Facebook : une monnaie numérique et sans frontières. L’objectif avancé est alors d’aider les non bancarisés à avoir accès au système financier. Or, les non bancarisés sont encore très nombreux dans le monde.

Techniquement, la monnaie numérique Libra ressemble aux cryptomonnaies. Mais il y a 2 différences fondamentales. La première, c’est que la blockchain utilisée est privée, soit tout le contraire de Bitcoin et des autres cryptos. La seconde, c’est que le mécanisme d’émissions et de contrôle n’est pas très transparent.

Branle-bas de combats au sein des Etats et des banques centrales ! Une entité privée avec un pouvoir de battre monnaie ? Il faut sortir quelque chose du chapeau : ce seront les monnaies numériques de banque centrale. Effectivement, l’émergence des CBDC est une réaction au projet Libra, qui aura été rebaptisé Diem entre-temps. 

Lorsque Facebook a annoncé son initiative, les banques centrales et les régulateurs ont exprimé leurs inquiétudes quant à la stabilité financière et la souveraineté monétaire. Il a donc fallu trouver une alternative. 

Mais les MNBC, ce n’est pas seulement contre le projet Diem, qui a d’ailleurs été abandonné par Facebook fin 2022. 

… et aux crypto monnaies

Le projet Diem ayant été arrêté, vous pourriez vous demander pourquoi les projets de MNBC continuent. Après tout, la menace de Facebook/Meta n’existe plus. Vous avez probablement deviné que nous parlions des cryptomonnaies.

Selon les régulateurs, les CBDC apparaissent comme un moyen pour les banques centrales de reprendre le contrôle et d’offrir une alternative plus sécurisée et, surtout, régulée aux cryptomonnaies. En développant leurs propres monnaies numériques, les banques centrales cherchent à concilier les avantages de la technologie blockchain avec la confiance et la stabilité offertes par les institutions financières traditionnelles.

Pour les banques centrales, les cryptomonnaies présentent des risques, notamment en matière de blanchiment d’argent, de financement du terrorisme et de volatilité des prix. Ainsi, selon elles, les MNBC apparaissent comme une alternative contrôlée et régulée, tout en permettant de bénéficier des atouts des technologies numériques

Les banques centrales vont même plus loin, en laissant croire que les CBDC pourraient combler le fossé entre la finance traditionnelle et la finance du futur : celle des cryptomonnaies et de la finance décentralisée.

Quelles sont les principales différences entre CBDC (MNBC) et crypto monnaies ?

Les distinctions techniques entre CBDC (MNBC) et crypto monnaies

Les distinctions techniques entre les monnaies numériques de banque centrale et les cryptomonnaies résident dans son infrastructure. Et en écrivant cela, nous avons presque tout dit !

Malheureusement, une majorité de projets de MNBC sont peu bavards sur la technique utilisée derrière l’émission monétaire. Par exemple, il n’est pas toujours clair de savoir si une blockchain sera utilisée ou non. 

Cependant, nous sommes certains que les projets n’utilisent pas une infrastructure propre aux cryptomonnaies. Dans le cas contraire, il y aurait un problème de gouvernance, sur lequel nous allons revenir.

En résumé, les CBDC vont utiliser des pans de la technologie blockchain, afin d’assurer une validation rapide des transactions, une impossibilité de falsification et une sécurité absolue. 

Les distinctions de gouvernance entre CBDC (MNBC) et crypto monnaies

La gouvernance est ce qui distingue réellement les monnaies numériques de banque centrale des cryptomonnaies. Et cela tient en un mot : décentralisation

Dans le monde des cryptomonnaies, la gouvernance est décentralisée. Comme vous nous lisez depuis longtemps (on l’espère !), vous savez désormais que la validation des transactions en Bitcoin, Ethereum ou une autre crypto est effectuée par un réseau sans tiers de confiance.

La gouvernance d’un protocole est également décentralisée, avec un droit de vote à l’ensemble des détenteurs d’un token. Or, nous n’allons pas y aller par 4 chemins, pour les CBDC, ce n’est pas vraiment le cas

En effet, les MNBC sont émises par les banques centrales. Par exemple, la BCE prévoit d’émettre de l’euro numérique. Seule la BCE décide donc de l’émission de sa MNBC et à qui elle va le distribuer.

Le réseau est bien entendu centralisé et la blockchain, si blockchain il y a, est privée. En gros, les validateurs se connaissent et peuvent manipuler les transactions car, contrairement aux cryptomonnaies, il n’y a aucune transparence. Il faut donc faire entièrement confiance à la banque centrale émettrice.

A quoi vont servir les CBDC (MNBC) ?

La création d’un “cash numérique”

Une MNBC vise à reproduire les caractéristiques du cash, mais sous une forme numérique. Alors non, cela n’a rien à voir avec le portefeuille électronique qui a existé au tournant des années 2000 en France. Seuls les plus anciens s’en souviendront !

Émises et régulées par les banques centrales, les CBDC offrent une valeur stable liée à une monnaie ayant cours légal. Ainsi, l’euro numérique est lié à l’euro. 

Selon la BCE et d’autres banques centrales, l’introduction de ce cash numérique permettrait de faciliter les transactions et de réduire les coûts associés au traitement des espèces

De plus, toujours selon les banques centrales émettrices et la Banque des Règlements Internationaux (BRI), qui est un peu la banque des banques centrales, cela pourrait favoriser l’inclusion financière en élargissant l’accès aux services bancaires pour les populations non bancarisées. Tiens, cela rappelle le projet Libra… 

Certains projets prévoient à terme une disparition du cash, tandis que d’autres laissent entendre que la MNBC sera utilisée aux côtés du cash.

Une reprise en main des banques centrales sur la monnaie électronique

Aujourd’hui, les banques commerciales peuvent créer de la monnaie par le mécanisme du crédit. Lorsqu’une banque accorde un prêt à un client, elle crédite le compte de ce dernier du montant emprunté, augmentant ainsi la masse monétaire. Ce montant n’est pas puisé dans les réserves de la banque. On dit qu’il est créé ex nihilo. Nous passons sur les règles de solvabilité pour éviter d’alourdir cet article déjà bien long !

En d’autres termes, avec leur MNBC, les banques centrales viendraient en quelque sorte concurrencer les banques commerciales dans cette création monétaire intangible. Et c’est la raison pour laquelle certaines banques commerciales voient d’un mauvais œil l’arrivée des CBDC.

Quels sont les avantages des CBDC (MNBC) ?

Une rapidité et une sûreté des transactions

Les MNBC sont conçues comme les cryptomonnaies et l’ancien projet Libra. Le but est d’allier la rapidité des transactions offerte par la technologie blockchain (ou plutôt certains pans de sa technologie) à la sécurité des banques centrales. 

Les MNBC permettent donc d’effectuer des transferts d’argent quasi instantanés et à moindre coût, ce qui permettrait objectivement de faciliter les échanges commerciaux et financiers. Pour ces derniers, nous parlons des MNBC de gros (wholesale CBDC), en opposition aux MNBC de détail (retail CBDC), à destination des particuliers.

Enfin, en étant émises et contrôlées par des institutions financières officielles, les MNBC garantissent une valeur a priori stable et une régulation, assurant ainsi la sûreté des transactions pour les utilisateurs.

Une émission contrôlée de la monnaie

Sur ce point, difficile d’en dire plus au moment où ces lignes sont écrites, car les projets évoquent peu ce point. Nous ne savons pas si l’émission sera limitée ou illimitée ou encore si la MNBC sera accessible à tout le monde

En revanche, nous pouvons être certain que c’est la banque centrale qui décidera seule des modalités d’émission de sa MNBC.

Quels sont les inconvénients des CBDC (MNBC) ?

Les crypto monnaies font exactement la même chose

Cela peut paraître évident. Aujourd’hui, les cryptomonnaies ne font pas moins bien que les MNBC. On pourrait même penser qu’elles font mieux. D’ailleurs, le Salvador a choisi d’adopter le Bitcoin comme monnaie nationale au lieu de créer sa MNBC. Pour rappel, le Salvador n’a plus de monnaie nationale depuis le début des années 2000 et utilise le dollar américain. 

Les stablecoins sont d’ailleurs les véritables concurrents des CBDC, puisque leur cours est (normalement) à parité avec une monnaie ayant cours légal. Or, techniquement, les stablecoins ne peuvent pas faire moins bien que les monnaies numériques de banque centrale

Néanmoins, vous avez compris la différence entre les deux : les banques centrales contrôlent les MNBC, mais pas les cryptomonnaies

Parmi les stablecoins, le plus connu est le Tether (USDT), qui réplique le cours du dollar américain. En janvier 2024, les USDT en circulation représentant quasiment 100 milliards d’euros, loin devant le concurrent qu’est l’USDC.

L’incertitude de la technologie utilisée et des cas d’usage

Nous en avons déjà beaucoup parlé dans cet article. La technologie utilisée reste incertaine : blockchain ou non ? Si oui, quel serait le consensus de validation utilisé ?

Enfin, quels seraient les cas d’usage des MNBC ? De détail et de gros ou uniquement de gros ? Pour bon nombre de projets, nous en sommes encore au stade des interrogations.

Les sérieux doutes sur la protection de la vie privée

C’est la principale pomme de discorde entre les pros et les anti MNBC. L’implication des banques centrales dans l’émission et la régulation des CBDC pourrait (ou plutôt devrait) engendrer un contrôle accru sur les transactions et donc sur les individus. Ceci menace la vie privée et la liberté financière de chacun

En outre, si les MNBC venaient à remplacer complètement le cash, cela pourrait marginaliser certaines populations n’ayant pas accès aux technologies numériques. Enfin, la centralisation rend la MNBC potentiellement vulnérable aux cyberattaques et aux pannes techniques.

Où en sont les projets actuels de CBDC (MNBC) ?

Parmi les projets de monnaies numériques de banque centrale les plus avancés, la Chine se distingue nettement avec un yuan numérique largement utilisé… et une surveillance accrue de la population.

Au Nigéria, l’e-naira est également en phase de test avancé, avec une certaine réticence de la population qui préfère se tourner vers… Bitcoin !

Pour connaître l’avancement des projets de CBDC, vous pouvez consulter ce site qui est le plus complet sur le sujet, avec un plan interactif.

Notre avis : les CBDC (MNBC), le doute est permis

Quelle conclusion tirer sur les MNBC ? A première vue, nous pourrions voir le verre à moitié plein. En effet, leur développement vise à réduire les coûts d’intermédiation, renforcer la sécurité des échanges, lutter contre le blanchiment d’argent et conserver la souveraineté nationale face aux (crypto)monnaies privées. Toutefois, il y a clairement deux problèmes.

Le premier est d’analyser les implications potentielles sur la vie privée, la surveillance et les risques systémiques avant de généraliser leur utilisation. Le second, c’est la place des cryptomonnaies, qui semblent réellement faire peur aux banques centrales, alors que ces dernières sont bien plus puissantes. 

Enfin, entre les paiements par carte bancaire, les virements bancaires, le cash, les paiements instantanés grâce à des fintechs et pourquoi pas les cryptos, nous nous demandons réellement à quoi pourraient bien servir les CBDC.