L’année 2022 est celle d’une croissance faible dans la plupart des pays de l’OCDE d’un retour de l’inflation.

Avec une augmentation du PIB estimée pour la France à 2,3% sur l’année par l’INSEE. Ce taux de croissance, en soi relativement élevé si l’on se réfère à la période récente, s’explique par la fin du rattrapage économique qu’a connu l’économie à la suite de l’épidémie de Covid-19. Ce qui rend la période inédite, c’est la reprise d’une inflation soutenue, avec une augmentation du niveau des prix estimée à 7% sur l’année par l’INSEE. Cette période de coexistence d’une croissance peu élevée et d’une forte hausse des prix est nommée stagflation.

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Qu’est-ce que la stagflation ?

La stagflation désigne une situation dans laquelle l’économie connaît une accélération de l’inflation conjuguée à un ralentissement du taux de croissance et une augmentation du taux de chômage. 

Il ne faut pas confondre la stagflation avec la slumpflation, qui se caractérise, non pas par un ralentissement de la croissance, mais par une baisse de la production (c’est-à-dire une diminution du PIB ; une récession). 

La stagflation des année 1970

Les années 1970 ont été caractérisées dans les pays de l’OCDE par une situation de stagflation, suite au premier choc pétrolier (1973-1974). En France par exemple, de taux de croissance annuels proches de 6% dans les années 1960 et au début des années 1970, on passe à des taux au voisinage de 3% à la fin de la décennie, alors que le taux d’inflation est multiplié par quatre en dix ans (de 3% environ à 12%).

Ce phénomène a trouvé son origine dans la situation économique de la première moitié des années 1970 dans les pays développés. Les gains de productivité ralentissent, alors qu’ils étaient très élevés au cours des années 1950 et 1960 en raison des innovations apportées par les nouvelles technologies de l’époque (automobile, pétrole et chimie notamment). Les salaires continuent d’augmenter au même rythme, si bien que l’on assiste à une décorrélation entre hausse des salaires nominaux et augmentation de la productivité, ce qui favorise le ralentissement de l’activité économique et la hausse des prix. 

Mais c’est surtout la hausse brutale du prix du pétrole au cours du premier choc pétrolier de 1973 qui explique la stagflation. La multiplication par quatre du prix du baril va se répercuter sur les coûts de production des entreprises, qui n’ont d’autre choix que d’augmenter les prix pour rester rentables. Celles qui ne le peuvent pas sont poussées à la faillite et licencient, ce qui a pour effet d’augmenter le chômage. La hausse des prix de l’énergie entrave donc fortement la production des entreprises, ce qui nuit à l’activité économique et ralentit la croissance. Du fait d’une conjoncture défavorable, l’investissement ralentit, de même que les embauches, ce qui a pour effet d’aggraver le phénomène : on est donc là en présence d’un cercle vicieux.

Enfin, les salaires, à l’époque très largement indexés sur l’inflation, augmentent bien plus vite que la productivité. Ces hausses de salaires sont à l’origine d’une augmentation de la demande qui ne peut plus être satisfaite par les entreprises (qui produisent moins) ce qui a pour effet d’aggraver la hausse des prix.

La stagflation, à l’origine d’un changement de paradigme économique

La courbe de Phillips est contredite 

Au cours des années 1970 et 1980, la relation de Phillips est un instrument central des politiques économiques de l’après-guerre. Fortement inspirée de la pensée de J.M. Keynes, la courbe de Phillips modélise un arbitrage entre inflation et chômage :une hausse de l’un permettrait une baisse de l’autre.. Autrement dit, pour les économistes, il n’était pas possible d’observer une hausse du chômage conjuguée à une hausse de l’inflation. La stagflation vient donc bousculer la pensée économique de l’époque.  

Les politiques keynésiennes ne sont plus efficaces 

Dans les années 1960, les États mettent principalement en place des politiques dites de stop and go. : 

  • Lorsque le chômage augmente, l’idée est de relancer la demande globale en stimulant la consommation des ménages et l’investissement des entreprises, par l’augmentation des salaires ou des baisses d’impôts – go  
  • Toutefois, si l’inflation s’accélère, alors les pouvoirs publics mènent des politiques plus restrictives afin de contenir la hausse des prix- stop

Les politiques économiques de relance, parfois appelées « politiques keynésiennes », qui visent à baisser le niveau du chômage et relancer la production en stimulant la demande globale se sont avérées inefficaces pour lutter contre la stagflation. Elles augmentaient le niveau des prix mais n’avaient qu’un effet limité sur la production et l’emploi. 

Pour les économistes libéraux, la politique budgétaire de relance est inefficace en raison des anticipations des agents. Si les pouvoirs publics augmentent les dépenses publiques, alors les agents économiques vont diminuer leurs dépenses (privées) afin d’anticiper une hausse future des impôts pour compenser le déficit budgétaire créé par la politique de relance, ce qui rend une telle politique inefficace.

Sous l’influence des thèses libérales, la fonction de régulation macroéconomique des pouvoirs publics a ainsi été remise en cause. D’un État régulateur, nous sommes passés à un État réglementateur, dont le rôle consiste moins à intervenir directement dans la conjoncture économique qu’à fixer les « règles du jeu » entre les différents acteurs de l’économie (ménages, entreprises, banques, etc.), ce que font la politique de la concurrence (lutte contre les ententes), la réglementation bancaire ou les politiques environnementales (lutte contre la pollution).

Quelles politiques économiques se sont historiquement avérées efficaces pour lutter contre la stagflation ?

A partir des années 1980, les pays de l’OCDE s’engagent dans un processus de désinflation, c’est-à-dire de ralentissement de l’inflation. Les banques centrales ont mis en place des politiques monétaires visant à réduire l’offre de monnaie pour ralentir le volume des crédits accordés par les banques commerciales aux ménages et aux entreprises, et par-là ralentir la hausse de la consommation et donc la hausse des prix. C’est notamment la stratégie mise en place par la Banque centrale américaine à partir de la fin des années 1970. D’un taux d’inflation à deux chiffres au tournant des années 1980 (11,25% en 1979), on passe à un taux avoisinant les 3,5% par an au milieu des années 1980.

Dans un très grand nombre de pays, des politiques de réformes structurelles sont mises en place :  

  • La déréglementation, en intensifiant la concurrence entre les entreprises, a permis de contenir la hausse des prix. 
  • Des baisses du pouvoir de négociation des syndicats et une modification des règles d’indexation des salaires sur l’inflation pour contrer la boucle prix-salaires, notamment du salaire minimum.

Toutefois, le ralentissement de l’inflation à la suite de la période de stagflation s’explique également par des raisons conjoncturelles : 

  • La faible croissance économique du début des années 1980 a été à la source d’une augmentation du chômage, qui a eu pour effet de limiter la hausse des salaires, du fait du moindre pouvoir de négociation des salariés. 
  • Les matières premières (notamment l’énergie) ont, à cette époque, connu une chute de leur prix ce qui a permis de réduire les coûts de production des entreprises, diminution qu’elles ont pu répercuter en baissant leurs prix.

2022 : le retour de la stagflation ?

La menace de stagflation qui pèse aujourd’hui s’explique par le retour d’un taux d’inflation supérieur à 5%, ce qui n’était plus arrivé depuis les années 1980. Cette forte inflation s’explique par la conjonction de plusieurs facteurs : 

  • A la suite de la crise du Covid-19, la demande des ménages en biens et services a repris, à la suite d’une contraction de la consommation durant la crise. Les entreprises, mal préparées à cette reprise de la consommation, avaient des capacités de production insuffisantes et on dû en partie augmenter leurs prix.
  • Les entreprises ont également été confrontées à une hausse du prix des matières premières, dont elles sont fortement dépendantes, et ont été contraintes d’augmenter leurs prix du fait d’une augmentation de leurs coûts de production. 

Enfin, plus largement, le capitalisme contemporain est considéré par certains économistes trop peu concurrentiel, ce qui aurait pour effet de favoriser la hausse des prix dans un certain nombre de secteurs. Le pouvoir de marché important des GAFAM, en situation de monopole ou de quasi-monopole sur les marchés de l’économie numérique, en est le symbole.