Qu’est-ce que l’hyperinflation ?

L’hyperinflation est une augmentation démesurée du niveau général des prix. D’un point de vue purement statistique, elle se manifeste par une hausse mensuelle des prix excédant 50%.

Ce critère est arbitraire et on peut plus généralement considérer que l’hyperinflation survient lorsque la hausse des prix devient imprévisible et bouleverse profondément l’activité économique quotidienne.

Une préoccupation constante au quotidien

Lorsque l’inflation atteint des niveaux relativement importants, l’effet sur le pouvoir d’achat est perceptible par chacun : les factures augmentent, le passage en caisse au supermarché est plus douloureux, etc. Mais ces effets peuvent être anticipés par les acteurs économiques et ils ont le temps de s’y adapter en changeant leurs habitudes.

En période d’hyperinflation, ces ajustements sont rendus difficiles, voire impossibles, par la rapidité et le caractère imprévisible de la hausse des prix. Imaginez-vous que les prix augmentent parfois plusieurs fois au cours d’une même journée ! Le prix du ticket de bus au retour de votre journée de travail sera supérieur à celui de l’aller. Toute l’attention des ménages est donc tournée vers la priorité d’éviter la dépréciation de leur pouvoir d’achat à court terme. L’activité des entreprises est désormais largement accaparée par la gestion de leur trésorerie et l’adaptation continue de leurs prix.

Les causes de l’hyperinflation

La spirale hyperinflationniste

Si l’inflation est généralement considérée comme un phénomène essentiellement monétaire, l’hyperinflation trouve souvent sa source initiale dans une mauvaise gestion de la politique budgétaire. L’endettement excessif des États entraîne une défiance qui altère leur capacité à emprunter. Dès lors, la tentation peut être grande de recourir à l’émission de monnaie pour rembourser la dette.

Mécaniquement, une croissance monétaire trop importante se traduit par une accélération de l’inflation (selon la théorie quantitative de la monnaie). Une fois qu’elle devient hors de contrôle, les recettes n’arrivent plus à suivre l’emballement des prix et l’endettement est soumis à un effet boule de neige.

L’hyperinflation est nourrie par les conséquences de ces choix politiques. Une économie profondément endettée et soumise à des taux d’inflation élevés peine à inspirer la confiance nécessaire à une sortie de crise. L’incertitude augmente le risque perçu et dissuade les investissements nationaux comme étrangers. L’État est alors incité à accroître ses dépenses pour compenser les effets délétères du manque d’investissement privé ; ce qui contribue à renforcer les causes initiales : endettement excessif et création monétaire massive.

La politique de changes joue alors un  rôle prépondérant. Une monnaie fragile dont la valeur flotte sur le marché, peut rapidement voir son cours s’effondrer lorsque la confiance en l’économie s’étiole, dans le cas d’une fuite des capitaux par exemple. La baisse du cours renchérit non seulement le coût de la dette libellée en monnaie étrangère mais également le prix des produits importés, générant une nouvelle source d’inflation. L’instabilité économique et l’absence de dynamisme intérieur renforcent le phénomène : les biens qui ne sont plus produits localement doivent être achetés à l’étranger.

Sur le plan intérieur, l’hyperinflation est une menace pour la consommation des ménages. Pour éviter son effondrement, et les faillites qui s’en suivraient, les salaires doivent s’ajuster régulièrement ce qui incite en retour à continuer à augmenter les prix.

Ces différents phénomènes s’entretiennent et se renforcent mutuellement, contribuant à plonger l’économie dans une spirale hyperinflationniste. En tout état de cause, l’hyperinflation se poursuit tant que les États réagissent à ces différents facteurs en créant massivement de la monnaie pour combler les déficits, augmenter les salaires des fonctionnaires, etc. L’injonction dans le circuit économique de cette masse monétaire excédentaire apparaît comme l’élément moteur de l’envolée des prix.  

Un problème fondamental de confiance dans la monnaie

Nous avons l’habitude d’utiliser la monnaie sous toutes ses formes sans nous poser de questions. Mais qu’en serait-il si on réalisait qu’elle pourrait perdre la moitié de sa valeur en à peine quelques jours ? Nous serions sans doute beaucoup plus réticents à l’idée de l’utiliser. C’est exactement ce qui se passe en période d’hyperinflation. La monnaie qui facilite au quotidien les échanges, qui nous sert d’instrument d’épargne, ne peut plus remplir son rôle. On cherche à s’en débarrasser, à la convertir en valeurs stables : devises étrangères, métaux précieux, biens tangibles…

L’hyperinflation entraîne des conséquences économiques durables car elle érode la confiance dans la monnaie qui constitue un ciment de nos sociétés de marché. Elle sème le doute également sur la capacité de l’État à assurer une stabilité économique nécessaire à la prospérité et sape sa capacité à emprunter pour investir (notamment via l’émission d’obligations en monnaie locale). L’hyperinflation est à la fois un révélateur des faiblesses économiques et politiques du pays et un facteur d’instabilité.

Un phénomène rare mais récurrent

Le traumatisme allemand (1922-1923)

L’épisode d’hyperinflation allemande des années 1920 constitue l’exemple le plus souvent cité pour évoquer le phénomène. Pour illustrer la période, on évoque souvent  les Allemands transportant des brouettes de billets pour aller faire leurs courses. 

Comment en est-on arrivé là ? L’Allemagne, déjà largement endettée par l’effort de guerre, se voit imposer d’importantes réparations une fois vaincue. Or, elle ne parvient pas à dégager des excédents commerciaux suffisants pour faire rentrer les devises exigées par les vainqueurs. Elle doit donc en acheter à l’extérieur ce qui contribue à la chute du cours du Mark, la monnaie allemande. Les importations s’en trouvent mécaniquement renchéries ce qui pousse les prix à la hausse. 

Par ailleurs, l’endettement intérieur de l’État le conduit à émettre de plus en plus de monnaie afin d’assurer les remboursements sans accroître les impôts. Cet excès monétaire contribue également à l’érosion du pouvoir d’achat du Mark. Les prix s’envolent. Un journal qui coûtait 1 mark en mai 1922 est vendu au prix de 1000 marks en septembre 1923 et voit son prix atteindre 70 millions de marks en novembre de cette même année. 

L’Amérique latine régulièrement frappée dans les années 1980-90

Plusieurs pays d’Amérique latine connaissent des épisodes d’hyperinflation à la fin du XXème siècle : le Pérou (en 1988 et 1990), l’Argentine (en 1989-1990), la Bolivie (en 1984-1985), etc. Si les situations nationales sont différentes, certains points communs rapprochent ces économies. Un endettement national important, contracté souvent à l’étranger et, en particulier, aux États-Unis. Les taux d’intérêt américains remontent au début de la décennie 1980, entraînant un renchérissement de la dette des pays latino-américains. Les difficultés à honorer les traites installent un climat de défiance vis-à-vis de ces économies. Les capitaux s’exilent, les recettes des États s’amenuisent, les dépenses budgétaires diminuent… La crise s’installe générant un cercle vicieux de moindres recettes fiscales, d’accroissements des déficits et d’un endettement de plus un plus massif et coûteux. Parallèlement, les prix augmentent notamment du fait des effets de la récession économique : une production moins performante, le recours à des produits importés plus coûteux, etc. La confiance dans les monnaies nationales s’érode. Comme le relate le Wall Street Journal en 1985 (numéro daté du 13 Août), le premier réflexe des Boliviens dès qu’ils perçoivent leur salaire est de se précipiter pour acheter des dollars sur le marché noir. En effet, avec un taux d’inflation annuel estimé à 38 000 %, le pouvoir d’achat de la monnaie locale diminue d’heure en heure. Le développement des circuits parallèles soustrait tout un pan de l’activité économique à la fiscalité et prive l’État de précieuses recettes.

L’hyperinflation au XXIème siècle : le Zimbabwe, le pays des milliardaires pauvres

L’hyperinflation n’est pas un phénomène du passé. En 2007-2008, le Zimbabwe a connu le second plus grave épisode d’hyperinflation de l’histoire. En moyenne, les prix doublaient toutes les 24h ! Là encore, la planche à billets a marché à plein régime. Le pays est célèbre pour avoir émis un billet de 100 mille milliards de dollars zimbabwéen. L’usage de la monnaie locale a même été suspendu au profit du dollar américain avant d’être réintroduit en 2019. Depuis, l’hyperinflation s’est réinstallée.

Nos économies sont-elles à l’abri de l’hyperinflation ?

Les pays durablement attractifs ont peu de chances de subir l’hyperinflation

L’hyperinflation frappe avant tout des pays qui présentent des fragilités structurelles. Les évènements qui peuvent conduire à une situation de crise économique – modifications des taux d’intérêt étrangers, crise énergétique, mouvements massifs de capitaux – sont des prémisses nécessaires au déclenchement du phénomène. L’attractivité économique d’un pays le protège de la survenance de telles crises et donc de l’hyperinflation. Plus nos économies apparaissent comme dynamiques et diversifiées, plus elles sont à l’abri.

L’Euro, un probable atout

Les crises économiques et budgétaires conduisent à l’hyperinflation lorsque les autorités monétaires y réagissent en émettant massivement de la monnaie. L’indépendance de la banque centrale apparaît donc comme un atout face à l’hyperinflation, d’autant plus lorsque sa politique monétaire est clairement définie ; ce qui est le cas pour la Banque centrale européenne. La monnaie unique, renforcée par son usage massif dans les transactions internationales, peut donc constituer un rempart contre l’hyperinflation. Les pays européens touchés récemment par d’importantes crises de la dette, la Grèce en tête, doivent sans doute à l’Euro d’avoir évité d’y sombrer.


Références