Qu’est-ce que le keynésianisme ?
Le keynésianisme désigne les théories économiques inspirées des travaux de John Maynard Keynes (1883-1946). Le point commun de ces théories ? Vouloir agir sur la demande et penser que l’État doit jouer un rôle de stabilisateur dans l’économie.
Les travaux de Keynes inspirent les politiques de nombreux dirigeants actuels que l’on désigne alors par le terme de politiques keynésiennes.
Britannique issu d’un milieu intellectuel, Keynes s’est d’abord formé en mathématiques au King’s College de Cambridge avant d’étudier l’économie sous la direction d’Alfred Marshall. Il n’est pas issu d’un parcours classique en économie ! Cela ne l’a pas empêché de devenir, à travers ses écrits, l’économiste le plus connu de la première moitié du XXe siècle. Malgré son succès, la postérité ne lui rend pas toujours justice. On oublie parfois qu’il a été encarté au parti libéral britannique pendant 5 ans et qu’il en est resté proche toute sa vie. Keynes n’est pas la caricature de l’anticapitaliste illibérale dépeint par certains de ses adversaires.
Les grandes lignes d’une politique keynésienne
Agir sur la demande anticipée…
Keynes développe le concept de demande anticipée (qu’il appelle demande effective). C’est la demande que les producteurs anticipent lorsqu’ils décident de leur niveau de production. Concrètement, c’est le nombre de voitures que Renault pense vendre l’année suivante et donc le nombre d’unités que Renault va effectivement produire.
Pour Keynes, la demande anticipée est l’information centrale d’une économie. C’est elle qui détermine :
- l’intensité de l’investissement d’une entreprise ;
- le nombre de salariés ;
- et, par ricochet, le taux de chômage d’une économie.
Une politique keynésienne a alors pour but d’agir sur cette demande anticipée.
De fait, il souligne le caractère variable de cette information, celle-ci dépend avant tout de l’état d’esprit des agents économiques. Il montre que lors d’une crise, c’est-à-dire lorsque l’économie se contracte, l’estimation de la demande effective baisse, ce qui a pour résultat d’entretenir la contraction de l’économie. C’est le paradoxe de l’épargne : lors d’une crise, les agents réduisent leurs dépenses, ce qui entretient la crise.
… en utilisant le budget de l’État
Pour sortir de la crise, Keynes souligne le besoin qu’un agent économique agisse de manière opposée pour éviter une baisse de la demande effective, c’est le rôle qu’il assigne à l’État :
- En temps de crise : Pour compenser l’anticipation de baisse des dépenses des ménages en temps de contraction de l’économie, l’État doit dépenser plus (ou réduire ses impôts) et donc avoir un budget déficitaire.
- En temps d’expansion : Au contraire, en temps d’expansion économique la demande anticipée n’a pas besoin d’être soutenue. L’État doit donc réduire ses dépenses (ou augmenter les impôts), avoir un budget excédentaire afin de pouvoir financer les dépenses nécessaires en temps de crise.
Pour que ces dépenses aient un impact réel sur la demande effective, Keynes préconise de cibler les consommateurs, c’est pour cela que l’on parle de politique de la demande.
Exemple de politique keynésienne : la crise du Covid
De nombreuses politiques économiques menées à travers le monde peuvent être qualifiées de keynésiennes. Les politiques économiques menées durant les trente glorieuses, notamment lors de l’immédiat après-guerre, sont en large partie inspirées par les idées keynésiennes.
Les plans de relance accompagnant la sortie de la pandémie en sont l’exemple le plus récent. Le cas des Etats-Unis est particulièrement parlant. Les consommateurs pour faire face à la crise covid ont reçu des chèques. Sous Trump ce sont tous les consommateurs qui ont été ciblés en Avril 2020, 1200 dollars par adultes et 500 par enfants, ou 600 dollars par personne en janvier 2021. Sous Biden, à la sortie de la crise en mars, le chèque est de 1400 euros par personnes sous conditions d’avoir un revenu annuel inférieur à 75 000 par personne et 150 000 pour un couple.
Se rappeler de Keynes nous permet d’interroger le timing des politiques qui s’en inspirent. Les plans de relance ont permis une reprise économique rapide, mais ils sont en partie responsables de l’inflation qui a suivi.
De fait, Keynes préconise une relance budgétaire afin de soutenir la demande agrégée. Or à la sortie de la pandémie, nous avons fait face à une crise de l’offre. Cette dernière, du fait de pénuries et de ruptures dans les approvisionnements, ne parvenait pas à suivre la demande. Ce qui explique que des plans de relance moins keynésiens, plus centrés sur l’offre ont été adoptés dans de nombreux pays.
Keynes versus les néoclassiques : faut-il laisser faire le marché ?
Le keynésianisme prend racine lors de la Grande Dépression
Lorsque Keynes rédige sa Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie (1936), l’économie fait face, depuis le krach de 1929, à la Grande Dépression.
- Les USA subissent une crise bancaire majeure, elle se répand chez ses partenaires économiques.
- C’est la plus grande période de récession de l’histoire ;
- La consommation et la production ont chuté ce qui crée un chômage de masse qui dure.
La réponse apportée par la théorie économique dominante est mise à mal par la persistance du phénomène. Les néoclassiques voient seulement une période de transition. En effet, selon eux, les marchés s’autorégulent et sont toujours à l’équilibre à long terme, c’est la loi de Walras:
- Dire qu’un marché est à l’équilibre signifie que le prix permet d’égaliser l’offre et la demande.
- Dans le cas du marché du travail, cela signifie qu’au sein du modèle théorique, il n’y a pas de chômage, car si une personne cherche du travail, les salaires devraient baisser jusqu’à arriver à un niveau où une entreprise le demande.
- Un déséquilibre est nécessairement dit de court terme, le temps du tâtonnement pour trouver le prix qui permettra un nouvel équilibre.
Les économistes néoclassiques ne proposent donc pas de solution particulière et conseillent simplement de laisser faire et d’attendre l’ajustement automatique. Toutefois les taux de chômage de l’époque montent jusqu’à 20 % aux États-Unis et se stabilisent autour de 11,5 % en Angleterre. La persistance dans le temps de cette situation pousse à une remise en question de la théorie néoclassique.
Il n’est pas rare de lire que Keynes a inspiré le New Deal du président Roosevelt (vaste plan d’investissement en réponse à la Grande Dépression), c’est mal comprendre la formation des idées keynésiennes. Roosevelt ne met pas en place le new deal en écoutant les thèses de Keynes, il s’est entretenu une fois avec l’économiste et a déclaré ne pas avoir compris ce qu’il lui avait raconté. Roosevelt est un pragmatique qui s’est retrouvé confronté à une situation économique inconnue et a expérimenté différentes réponses. C’est de cette façon qu’il faut comprendre l’émergence des idées keynésiennes. Celles-ci ne sont pas le résultat des idées d’un seul homme, mais plutôt une tentative de réponse à un contexte économique particulier.
Pour Keynes, le marché ne s’autorégule pas
Durant la Grande Dépression, Keynes sort du paradigme économique néoclassique. A ses yeux, l’économie s’est concentrée sur l’étude d’agents économiques pour en tirer des conclusions générales qu’il considère comme fausses. Il acquiert cette conviction en observant la situation économique de l’époque, le taux de chômage et le climat de crise ne semblent pas pouvoir se résoudre sans une intervention extérieure. Pour lui, le marché ne s’autorégule pas à court terme, cela lui suffit car “à long terme, nous sommes tous morts”.
La nouveauté dans l’approche de Keynes est bien la méthode qu’il emploie. Il regarde empiriquement les grands agrégats économiques que sont la consommation ou l’investissement et remet en cause des lois d’airain de l’économie. En s’intéressant aux relations entre les grands agrégats économiques plutôt qu’aux comportements individuels, il initie un mode de réflexion à l’origine de la macroéconomie actuelle, s’éloignant du modèle néoclassique.
De nombreux économistes ont aussi essayé de rattacher les intuitions keynésiennes au paradigme néoclassique : ce sont d’abord les néo-keynésiens puis la nouvelle économie keynésienne. Ils ont produit de nombreux concepts enseignés aujourd’hui à l’instar du modèle IS-LM ou de la courbe de Phillips.
Les limites des politiques keynésiennes
La mondialisation, un obstacle à une politique keynésienne nationale
Une première limite aux politiques keynésiennes est due au coefficient d’ouverture de nos économies ; à la place que prennent les importations dans une économie.
Lorsqu’un Français dépense 100 euros, le coefficient d’ouverture mesure combien d’euros sortent de l’économie française. Et ce sont autant d’euros qui ne seront probablement pas dépensés de nouveau en France.
Ainsi, lorsque l’État transfère des revenus aux consommateurs, il soutient la demande agrégée française, mais aussi allemande ou chinoise. L’effet d’une politique keynésienne est donc nécessairement dilué au sein d’une économie mondialisée. Il est donc nécessaire de se demander à quelle échelle une politique keynésienne doit-elle prendre place.
L’effet d’éviction et la (non) efficience de l’État
Une deuxième limite soulignée par les néoclassiques est l’effet d’éviction de l’investissement privé induit par ces politiques. En effet, ils considèrent que l’État est moins efficace que le marché pour allouer des ressources. Or si l’État doit emprunter pour financer ses plans de relance, c’est autant de fonds qui ne seront pas disponibles pour l’investissement privé.
Les travaux de Keynes sur la dépense publique s’opposent à ceux de David Ricardo. La critique la plus virulente des politiques keynésienne est, en effet, le théorème d’équivalence de Ricardo-Barro. Ce théorème soutient qu’un agent rationnel ne dépenserait pas le surplus de revenu accordé par l’État car l’individu anticipe que l’Etat devra financer cette dépense par une taxe que l’agent devra payer ou par l’inflation.
Cette critique est reprise par Milton Friedman et les monétaristes. Ces derniers ont conscience que les agents ne font pas tous cette anticipation c’est pourquoi ils concèdent une hausse de la consommation à court terme du fait d’une politique keynésienne. Mais ils affirment que celle-ci est due à la mauvaise anticipation de l’inflation. De fait, le principal défaut d’une politique keynésienne est qu’en accordant un surplus de revenus aux consommateurs, elle crée de l’inflation. Ainsi lors d’une première relance les agents la consomment puis se rendent compte de l’inflation. Friedman affirme que les individus ont une rationalité adaptative. Si l’État ne continue pas à soutenir la consommation lorsque l’inflation se manifeste, ils anticiperont mieux l’inflation lors d’une future relance. Ainsi pour les monétaristes, en s’appuyant sur la théorie quantitative de la monnaie, de telles politiques peuvent relancer la consommation à court terme puis créer de l’inflation et sur du long terme, elles créent seulement de l’inflation.