Les ETF (Exchange Traded Funds) connaissent un développement fulgurant aux Etats-Unis, où ils constituent plus de la moitié du volume des échanges quotidiens sur les marchés actions . L’expansion de ces instruments est moins visible pour le moment en Europe, car contrairement aux US où la moitié du marché est détenu par des investisseurs individuels, de ce côté de l’Atlantique ce sont essentiellement les investisseurs institutionnels qui sont présents sur cette classe d’actifs. Mais ne nous inquiétons pas, nous n’allons pas tarder à en entendre parler dans la presse française, comme d’habitude avec quelques mois de retard sur les Etats-Unis, et comme d’habitude peu de temps avant que la bulle, si bulle il y a, n’explose…

Justement peut-on craindre que le développement du marché des ETF ne soit en train d’alimenter la prochaine débâcle financière?

Rappelons que les ETF (appelés un moment « trackers », mais c’est l’acronyme qui est maintenant entré dans le vocabulaire usuel) sont à la base des fonds, c’est-à-dire des véhicules d’investissement collectifs comme les OPCVM (SICAV et FCP), dont la vocation est de répliquer les performances d’un index de marché, à la hausse comme à la baisse, et dont les parts sont négociables en bourse exactement comme des actions. Ils offrent donc aux investisseurs la possibilité de prendre position, moyennant des coûts de gestion et des coûts fiscaux réduits, sur un index du marché, y compris sur des marchés difficilement accessibles ou peu liquides comme les marchés émergents, les petites capitalisations, etc.

La soupe aux lettres

Il existe des ETF sur tous les secteurs de marché, et si un secteur un peu improbable n’est pas encore couvert aujourd’hui il le sera demain car de nouveaux ETF voient le jour quotidiennement. On pourra bientôt investir sur le segment des entreprises spécialisées dans le ballon de baudruche ou les épingles de cravate, ou encore les entreprises basées dans le Wisconsin du Sud ou la Saône et Loire (enfin pour la Saône et Loire ce sera peut-être un peu plus tard, juste avant l’éclatement de la bulle). S’il n’existe pas d’index représentant la performance du secteur visé, pas de problème, on crée l’index, puis l’ETF dans la foulée. Le phénomène dépasse d’ailleurs le marché des actions et s’étend à toutes les classes d’actifs, obligations (ETN, Exchange Traded Notes), matières premières (ETC Exchange Traded Commodities), futures, devises (ETV, Exchange Traded Vehicle) etc. L’ensemble est regroupé sous le vocable ETP, Exchange Traded Products. Bref c’est une belle soupe aux lettres qui mijote et qui n’est pas sans rappeler une précédente recette, celle de la titrisation (souvenez-vous les ABS, MBS, RMBS, CMBS, CDO etc.) qui avait débordé avec quelques dommages collatéraux il y a déjà 5 ans maintenant.

Un véhicule d’investissement simple et transparent?

En surface rien n’est plus simple qu’un ETF: l’investisseur achète un indice, et son titre va suivre, à la hausse comme à la baisse, les performances de l’indice répliqué. Mais justement comment cette réplication est-elle obtenue? Il y a deux grandes méthodes: la réplication physique et la réplication synthétique.

Avec la réplication physique, l’émetteur de l’ETF détient effectivement en portefeuille les titres de l’indice répliqué. Il calcule et communique en permanence deux informations: premièrement la valeur liquidative du fonds (égale à la valorisation au prix de marché des actifs détenus, divisée par le nombre de parts émises) et deuxièmement le prix de marché de la part, qui est issue de la confrontation des intérêts acheteurs et vendeurs en bourse exactement comme pour une action. Les deux chiffres (valeur liquidative et prix de la part) doivent rester identiques à une petite marge (la « tracking error ») près. Que se passe-t-il en cas de divergence? L’émetteur ne fait rien. Ce sont des intermédiaires spécialisés (« authorized participants »), mandatés par l’émetteur du fonds, qui entrent en action. Si la valeur de marché de la part dépasse la valeur liquidative du fonds (en clair, l’ETF évolue plus vite à la hausse que l’indice), ils vont acheter un panier de titres constituant l’indice et l’apporter à l’émetteur. Celui-ci leur délivre alors de nouvelles parts, qu’ils peuvent vendre sur le marché, réalisant ainsi une plus-value. Réciproquement, si le prix de marché est en deçà de la valeur liquidative du fonds, ils vont acheter des ETF sur le marché et les présenter à l’émetteur, qui les leur rembourse en leur livrant les actifs sous-jacents. Ils peuvent alors vendre ces titres sur le marché en réalisant ainsi une plus-value. Ces opérations dites d’arbitrage sont entièrement automatisées et ont pour effet de « réaligner » les prix des actifs (l’ETF et l’indice) qui étaient décorrélés. C’est bien le développement du trading algorithmique qui a permis le développement des ETF.

En cas de réplication synthétique, l’émetteur ne détient pas directement les titres de l’indice, mais d’autres actifs. Il va ensuite s’adresser à un intermédiaire spécialisé, typiquement une banque, pour négocier avec lui un « total return swap »: la banque verse à l’émetteur de l’ETF la performance de l’indice, tandis que celui-ci lui reverse la performance des actifs qu’il détient en portefeuille.

La réplication physique est majoritairement pratiquée aux Etats-Unis, où la réglementation limite considérablement l’utilisation des produits dérivés par les fonds d’investissement collectifs. En Europe, les ETF se répartissent équitablement entre les deux modes de réplication. Nous nous intéresserons principalement ici à la réplication physique, sur laquelle on a aujourd’hui un peu plus de recul.

Toute cette cuisine se déroule en coulisses, entre acteurs spécialisés (asset managers, hedge funds, brokers et banques de financement et d’investissement), préservant ainsi l’image de simplicité et de transparence vis-à-vis de l’investisseur final. Celui-ci ne doit pas pour autant être dupe: de nombreux intermédiaires interviennent en permanence, et il faut bien être conscient qu’ils ne le font pas par pure philanthropie, mais bien parce qu’ils y trouvent un intérêt. Il y a là une deuxième ressemblance avec le marché de la titrisation: les premiers bénéficiaires de l’innovation financière ne sont pas les investisseurs finaux, mais ceux qui créent et distribuent ces instruments innovants. Normal, après tout c’est leur métier et il faut bien qu’ils gagnent leur pain quotidien.

Ceci dit, les promoteurs des ETF soulignent que ces produits sont avant tout des fonds, et que donc la plupart d’entre eux entrent dans le cadre réglementaire concernant les fonds. Ces réglementations, tant en Europe (UCITS IV) qu’aux Etats-Unis, sont très exigeantes en particulier en ce qui concerne la transparence vis-à-vis des investisseurs. Il revient donc à ces derniers de lire attentivement les prospectus, dans lesquels il trouveront, en principe, toutes les informations nécessaires.

Un instrument liquide en toutes circonstances?

Qu’en est-il de la liquidité de ces véhicules d’investissement? En mode de fonctionnement normal, des teneurs de marché sont présents en permanence pour diffuser des prix acheteurs et vendeurs et se porter contrepartie des investisseurs. Leur présence permet de garantir la liquidité sur l’ETF, y compris si celui-ci est construit sur des actifs sous-jacents pas ou peu liquides. Mais en cas de stress? C’est là qu’il faut avoir présente à l’esprit une autre pratique de marché très répandue: le prêt de titres.

Le prêt de titres intervient à deux niveaux dans le monde des ETF. Premièrement, l’émetteur du fonds peut être amené à prêter les titres détenus en portefeuille de façon à en améliorer la rentabilité. Ce revenu supplémentaire peut être affecté à la réduction de la tracking error, ou simplement à la rentabilité du fonds. Dans ce cas il devrait être redistribué à l’investisseur: encore une fois, lire attentivement les brochures.

Deuxièmement, les ETF étant négociables en bourse, les investisseurs peuvent les vendre à découvert. Cette possibilité est massivement utilisée par les hedge funds car l’ETF permet de spéculer à la baisse sur la totalité d’un indice en évitant le tracas de vendre individuellement chaque titre sous-jacent. Le spéculateur doit alors emprunter les titres vendus à découvert pendant toute la durée de détention de la position courte. Sur le marché des actions, le stock de titres disponibles est limité: une forte demande sur le marché des emprunts rend le titre de plus en plus cher à emprunter, ce qui décourage les spéculateurs. Il n’en est pas de même sur le marché des ETF: ceux-ci peuvent être créés à la demande, ce qui permet d’en emprunter en quantité et ainsi de bâtir des positions courtes considérables. On en arrive à une situation assez invraisemblable à première vue, où sur certains ETF la somme des positions courtes est égale à plusieurs fois le nombre de parts effectivement en circulation! Un grand nombre de porteurs d’ETF détiennent donc en fait des parts « fantômes », qui leur ont été vendues par un vendeur à découvert, ce dernier se disant que les parts pourront de toute façon être créées le moment venu.

Si des ordres vendeurs affluent sur l’ETF, les opérations d’arbitrage vues plus haut, qui on l’a vu, sont entièrement automatisées, se déclenchent. Les intermédiaires spécialisés demandent massivement la restitution des titres sous-jacents à l’émetteur. Mais l’émetteur peut soit ne pas les détenir du tout (cas des parts prêtées sans avoir été effectivement créées), soit les avoir prêtés. Il ne va pas être en mesure de les livrer immédiatement, voire ne pas pouvoir les livrer du tout.

Cependant, il y a des clauses limitant le volume quotidien de restitutions sur le fonds, en particulier dans le cas où les positions courtes identifiées dépassent un certain seuil. De plus, un « Authorized Participant » doit prouver, lorsqu’il demande le remboursement d’une part, que celle-ci est bien « réelle » et ne résulte pas d’un prêt de titres à un niveau quelconque de la chaîne. Si ce type de clauses peuvent permettre au fonds de survivre à titre individuel à une débâcle, elles ne risquent pas de calmer le jeu sur les marchés. En effet si les investisseurs se voient refuser la possibilité d’obtenir le remboursement de parts qu’on leur avait vendues comme étant parfaitement sûres et liquides, il est plus que vraisemblable que la panique se propage à l’ensemble des ETF, puis pourquoi pas aux actifs sous-jacents.

Les ETF suivent le marché ou bien le marché suit les ETF?

Un autre effet préoccupant des ETF sur le marché est la hausse de la corrélation. En effet, grâce aux ETF, un investisseur peut se créer un portefeuille diversifié en une seule opération. Rien n’est plus tentant dès lors, que d’abandonner l’étude fastidieuse des données économiques et financières de chaque entreprise cotée, pour acheter d’un coup tout l’index, puisqu’après tout la diversification est une caractéristique essentielle d’un portefeuille bien géré.

Un afflux d’ordres d’achats sur un ETF va bien sûr nécessiter une création nette de nouvelles parts, et donc l’achat par les intermédiaires spécialisés de l’ensemble des actifs sous-jacents. Par conséquent tous ceux-ci vont être entrainés à la hausse simultanément (et réciproquement à la baisse en cas d’afflux d’ordres de vente). C’est ainsi que les corrélations sur les marchés actions atteignent aujourd’hui des niveaux particulièrement inusités.

Ceci est particulièrement dommageable pour le fonctionnement harmonieux des marchés, en particulier pour les small caps et les valeurs de croissance. En effet une fonction essentielle du marché est de bâtir un consensus général sur la valeur intrinsèque d’une entreprise. C’est ce que les anglo-saxons appellent joliment « price discovery ». Mais si les ordres d’achat ou de vente affluent simultanément sur toutes les valeurs d’un indice, c’est comme si dans une élection les électeurs décidaient de voter pour tous les candidats en même temps. Il devient impossible de distinguer le meilleur des chevaux de retour.

Une conséquence de ce phénomène est que les nouvelles introductions en bourse n’ont jamais été à un niveau aussi bas aux Etats-Unis. Les entreprises en croissance ne voient en effet pas l’intérêt de s’introduire en bourse si c’est pour que leur titre soit « happé » immédiatement dans un indice et fondu avec tous les autres de la même catégorie dans des ETF.

Ainsi au lieu de contribuer à l’allocation optimale du capital disponible vers les entreprises les plus prometteuses, créatrices de valeur et d’emplois, l’innovation financière tourne de nouveau à vide, générant temporairement des profits pour quelques-uns, jusqu’au moment où une panique boursière révèlera que le roi est nu.

On trouvera ci-dessous un certain nombre de références bibliographiques disponibles sur internet, toutes en anglais (eh oui!). Certaines présentent les risques induits par les ETF, d’autres prennent au contraire la défense de ces instruments. En effet avant de crier au loup il importe de se faire une opinion par soi même sur le degré de dangerosité de la bête! On y trouvera également des données chiffrées sur le développement du marché des ETF, ainsi que des informations complémentaires sur les problèmes spécifiques à la réplication synthétique, non adressés dans ce post.

ETFs – A broken business model http://investorplace.com/2012/09/etfs-a-broken-business-model-blk-stt-vanguard/

Can an ETF collapse? http://boganassociates.com/whitepapers.html

Why an ETF can’t collapse http://etfdb.com/financial-advisor-center/why-an-etf-cant-collapse/

The rise of ETFs and stock market correlation: http://www.thestreet.com/story/11644474/1/the-rise-of-etfs-and-stock-market-correlation.html

Financial Stability Board: Potential financial stability issues arising from recent trends in Exchange Traded Funds (ETF): http://www.financialstabilityboard.org/publications/r_110412b.pdf